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(Les Disputaisons) La critique en poésie, Laurent Albarracin


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Posté 02 novembre 2019 - 09:51

 

De la critique comme phagocytage


6a00d8345238fe69e20240a4e68b2b200b-100wiPour répondre à la sollicitation de Jean-Pascal Dubost et à la question induite dans sa demande, je dirais quâil est en effet dommage que la critique journalistique, en poésie, se fasse uniquement dans le sens de lâencensement. On aurait besoin en ce domaine aussi, de jugements clairs et argumentés, de dissensus, de prises de position polémiques, de plumes acerbes et enlevées façon Jourde ou Chevillard, et de quelques déboulonnages de statues auto-érigées.

Pour autant, et pour parler de ma pratique personnelle, chez Pierre Campion ou dans la revue Catastrophes, je dois dire que je mâen tiens très généralement aux lectures favorables. Câest que je ne me considère pas vraiment comme un critique, qui juge de la qualité dâune Åuvre, de la « réussite » dâun livre au regard de ses intentions affichées ou supposées, et encore moins comme un prescripteur : ma lecture ne se met pas au service du livre lu ni de son lecteur potentiel, mais se fait très égoïstement pour moi-même : je rédige une note de lecture tout simplement pour mieux lire le livre que je lis, pour mieux le méditer peut-être. À vrai dire même, je crois bien que mon activité de critique, comme dâailleurs celle dâéditeur, est une manière de prolonger mes propres préoccupations dâauteur. On se love dans lâécriture dâun tiers pour nourrir la sienne. On fait son miel en butinant les livres où lâon cherche dâabord les fleurs qui nous réjouiront. On y trie le bon grain de lâivraie pour abandonner lâivraie au livre, et récupérer le grain, le gain, pour soi.

Je nâaime rien tant, dans un compte rendu, que citer des vers que jâaurais voulu signer. Écrire sur les autres, câest encore écrire pour soi, par les autres. Câest manifester une reconnaissance, double en quelque sorte : on aurait pu dire cela nous aussi, et jamais nous nâaurions su le dire de cette manière (et donc on remercie). Je suis bien conscient du risque inhérent à une telle pratique : celui de détourner à son profit un propos, celui de le tordre et de le déformer, de le phagocyter. Mais citer, câest précisément phagocyter, câest faire fagot et feu et miel de tout bois. Et sinon de tout bois, du moins des meilleurs sarments. Nâest-ce pas lâessence même de la lecture que de sâapproprier une expérience ? Quand je lis, je retrouve ce que je veux dire et je le découvre : la voix que jâentends résonne avec mon for intérieur et elle mâintéresse aussi parce quâelle est différente de la mienne, autre un peu, elle me décale et mâouvre des horizons. Tout cela est très banal au fond, mais je ne connais guère que ce domaine â celui de la critique, de la lecture active â ou lâon est à la fois pleinement lecteur et pleinement auteur, en même temps contemplateur et créateur, vraiment autre et vraiment soi-même.

Laurent Albarracin

On peut lire les autres contributions à cette "disputaison" autour de la critique en poésie
(une dizaine à ce jour) en cliquant sur ce lien


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