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(Note de lecture), Presqu'un chant de Dürs Grünbein par Alexis Pelletier


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Posté 04 novembre 2019 - 04:19

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<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: center;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';">HIER, AUJOURDâHUI, DEMAIN AVEC GRÜNBEIN<br /><br /><br /></span></p>
<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"> <a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...2aa95200d-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Durs Grünbein presqu'un chant" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20240a4c2aa95200d img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a4c2aa95200d-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Durs Grünbein presqu'un chant" /></a>Les lecteurs qui voulaient découvrir en français, lâécrivain allemand Durs Grünbein avaient principalement accès jusquâà présent à trois livres. <em>Galilée arpente lâenfer de Dante et nâen retient que les dimensions</em>, publié par lâArche en 1999, est un recueil qui associe la réflexion poétique sur des écrivains et la mise en perspective de lâautobiographie de lâauteur. <em>Après les satires</em>, publié en 2013 aux éditions Les petits matins comprend notamment des élégies à Heiner Müller. Lâécriture y évolue entre prose et poésie, poème narratif et essai et montre lâépoque actuelle sous lâangle dâune esthétique du mélange qui en brosse un tableau sans concession. Enfin, <em>De la neige ou Descartes en Allemagne, </em>publié en 2017 aux éditions Grèges conforte cette originalité très virtuose de lâécriture de Grünbein qui sâappuie sur la traversée des genres littéraires. La parution, pendant lâhiver 2019, de <em>Presque un chant</em>, aux éditions Gallimard, dans la collection « Du monde entier » complète le tableau. Lâouvrage permet en tout cas de mesurer lâimportance de ce poète, non seulement en Allemagne mais plus véritablement dans le paysage poétique contemporain. Il est somptueusement traduit. On doit penser quâil donnera plus de place à ce poète et suscitera dâautres traductions. <br /><em><br />Presque un chant</em> est une anthologie poétique qui couvre neuf recueils sur une période allant de 1988 à 2017. Les traducteurs, Fedora Wesseler et Jean-Yves Masson, ont pris soin, dans une présentation, de situer lâauteur. Grünbein, né en 1962, en RDA, à Dresde, est le témoin lucide des mutations politiques et esthétiques à partir des années 1980. Son regard sur la fin de la RDA et sur la remise en cause ou en tout cas lâérosion des certitudes humanistes en fait un témoin privilégié qui a renouvelé profondément la manière dâenvisager lâengagement en poésie. Il ne sâagit pas dâun engagement hugolien ou résistant â tel que nous pouvons le connaître en France. Il ne sâagit pas non plus dâinterroger le devenir-poème de la langue allemande, comme Celan a pu le faire. Il sâagit de montrer le monde dâaujourdâhui, un aujourdâhui qui nâest certes pas vierge mais qui reste vif et que le poète saisit et interroge. <br /><br /><em>Zone floue le matin</em>, le premier recueil de 1988 semble partir de notations minimes qui imposent un cadre au réel. Lâéclatement de la phrase ou de la répartition des mots sur la page conduit à percevoir le monde, dans sa tristesse, sa finitude et son ennui. Câest dâailleurs dans ce recueil que se trouve le poème qui donne son titre à lâanthologie. On peut, notamment, y lire ceci : « lâautomne câest un / scintillement de goudron sur les toits et sur / les branches un réseau de fissures / imperceptibles, traces de / la pluie de cendres à travers les / reflets sales / du bruit (câe.-a.-d. seulement / quand tu es mal bien sûr). / Sinon / ça aussi sans doute ça ira. » (p.24). Se rencontrent une détermination à dire la tristesse et une pudeur pour en exprimer le lyrisme. Cet entre-deux est déjà le signe du mélange qui participe à lâélaboration même de la poétique de Grünbein, et qui nâexprime pas uniquement lâhorreur du monde de la RDA, mais une sorte dâélégie du contemporain. <br /><br />Avec <em>Leçon crânienne</em> (1991), la forme plus resserrée, voire plus classique, accompagne une sorte de contrepoint à la réunification allemande. Sans doute, un vers extrait des « Sept télégrammes » qui ponctuent les étapes de ce moment historiques précise-t-il le point de vue de Grünbein : « Lentement, les horloges accélèrent, chacune à une allure différente. (p.33). Ce sont bien les inégalités que la fin du XX a fait croire, après lâécroulement du bloc de lâEst et, bien évidemment, sans nostalgie, de la part du poète. <br /><br />Avec <em>Plis et replis </em>(1994) et <em>Dâaprès les satires</em> (meilleure traduction que celle proposée dans le volume de 2013), câest la question de lâhumanité qui entre en jeu. Parce que « Enfin tous les voyageurs errants sont morts » (« Alba », p.53). La coexistence des spectres historiques vient tisser le présent à un futur dominé par une sorte de vide ou de chute à travers les âges. Peut-être, Grünbein y dessine-t-il avec force le sens de son lyrisme : « Là dehors, tout est trop puissant pour moi. / Même de lâÅil à facettes de la plus minuscule mouche / Émane la destruction. » (« Ostrakon Dresde 1284, p.92). <br /><br />Ce lyrisme voisine avec ce que Gide nommait lâinespoir. Il aboutit ensuite à une écriture plus distanciée. Les traducteurs soulignent que le titre du recueil <em>La nuit figurée </em>(<em>Erklärte Nacht</em>) procède dâune « déformation parodique » du roman de Dehmel qui inspira lâÅuvre de de Schönberg, <em>La nuit transfigurée</em> (<em>Verklärte Nacht</em>). Les souvenirs dâenfance viennent y côtoyer une « Fantaisie sur les latrines publiques ». Et le poème « La nuit figurée » dâinterroger la poésie : « Des mélodies que chante la mortalité./ Un guide de voyage â le meilleur â pour lâexode hors de la nuit humaine. » (p.105). Est-on, alors, si éloigné dâune réécriture du <em>Anywhere out of the world</em> ?<br /><br />Du vaste recueil, <em>Strophes pour après-demain</em> (2007), lâanthologie propose 28 poèmes. La distance et le sarcasme avec lâHistoire et avec le présent, déjà bien en place dans <em>Zone floue </em>pour nommer indirectement lâunivers de la RDA, se font sentir ici avec une acuité encore plus forte. Ainsi, par exemple, dâun poème intitulé « Fusées sous lâempyrée » qui brosse le portrait dâun philosophe comme une sorte de « clown qui bluffe en présence du tigre » et qui quitte la scène (le monde), peut-être sous les applaudissements de celles et ceux qui lâécoutent mais faisant disparaître la réflexion, comme si celle-ci était devenue vaine : « Tandis que les Idées sâéteignent dans lâhumidité de la nuit en faisant <em>pschitt. »</em> (p.132). <br /><br />Dans la folie du présent, la pensée occidentale est mise à distance comme pour mieux saisir les errances quâelle souligne. Et la distanciation de franchir encore un pas, avec les poèmes extraits de <em>Colosse dans la brume</em> (2012). Le début du premier poème retenu pour cet ensemble résume lâesprit de ce que Grünbein écrit : « La lune inonde la chambre de sa lumière. Rien nâest réel. / Chaque instant est insondable, le monde / Un colossal écho dans le labyrinthe des sens. » (p.151). La contemporanéité semble nous confronté à un monde qui échappe, qui perd ses repères. Et le poème « Théière et kakis » confirme tout cela, en sâachevant par un tercet qui évoque des vieux maîtres japonais qui ne « peignaient plus, / À lâépoque du <em>Tout est mort</em>, que lâinanimé : / Des tasses et des parents. Cela suffisait. » (p.163). Quoi, donc, pour aujourdâhui, alors ? <br /><br />Viennent ensuite 14 poèmes de <em>Cyrano ou Le Retour de la lune</em> (2014)<em>. </em>Ils sont dâabord placés sous le signe de penseurs, de savants, de philosophes qui ont étudié la lune, mais ils font également apparaître des poèmes ou des personnages mythologiques. Endymion, par exemple, « vit avec la porte grande ouverte, incognito, tourné vers tout. » (p.194), tandis que Rabbi Levi â quâon connaît aussi sous le nom de Gersonide, penseur, scientifique et commentateur de la Bible au tournant des XIIIe et XIVe siècles â constate que « Cette lumière de paisibles heures lunaires nâhabite plus à présent / Que dans des peintures. » Il y a dâailleurs une superposition des significations qui souligne la polyphonie du poème. Rabbi Levi, en en effet, est un cratère lunaire, ainsi nommé en souvenir de Gersonide. <br /><br /><em>Bougies dâallumage</em> (2017) rappelle lâengagement de Grünbein : câest une sorte de fidélité au monde qui se résume dans lâoxymore du poème « Lâhumaniste misanthrope ». (p.211)<br /><br />On lâaura compris Grünbein se situe dans la lignée de Heiner Müller, ce que les brillants traducteurs ne soulignent peut-être pas assez dans leur présentation. Il ne fait pas seulement le procès de lâHistoire de lâAllemagne après la Deuxième Guerre mondiale, il jette un regard vivant, parfois cru, sur le monde qui sans cesse court à sa fin. La poésie, pour Grünbein met en évidence â la « Note sur moi-même de 2012 qui clôt lâouvrage le confirme â la nécessité de faire face au monde. « Elle éduque celui en qui elle sâéveille à résister en permanence au fatalisme des faits, et par là, elle est plus politique que toute politique. » (p.219). <br /><br /><strong>Alexis Pelletier <br /><br /><br /></strong>Durs Grübein, <em>Presque un chant, </em>poèmes choisis par lâauteur, traduits de lâAllemand par Jean-Yves Masson et Fedora Wesseler, Gallimard, Collection « Du monde entier », 2019, 240 pages, 23â¬<br /><strong><br /><br />Extraits<br /></strong><br />ARRIVÉE ATLANTIQUE<br />                   Me voici sur la plage armoricaine <br />                                    ARTHUR RIMBAUD <br /><br />Quand le gris et le blanc commencent à dominer dans <br />Le plumage, quand les mouettes et les hirondelles de mer donnent le ton <br />Qui découpe les airs et annonce la fin des terres, <br />Là où un hôtel, battant pavillon comme un navire, trône au bord des falaises. <br />Quand au plus profond des cellules du corps des souvenirs primitifs sâaniment â <br />Souvenirs dâespaces bruissants, dâutérus, de nautiles, dâun temps dâavant tout temps. <br />Quand on supporte mieux le vent à ras de terre, son arôme dâiode<br />Et de neige salée, en faisant le flétan. Quand les cheveux<br />Entourent les tempes, comme le varech les parois des quais, <br />Et que le cÅur dans la cage thoracique, sous la pression, devient un mollusque, <br />Alors, mon ami, tu y es.<br />                                      La mer nâest plus loin. <br />Ici cesse lâangoisse, la cohue de la terre ferme, le cauchemar statistique. <br />Ébouriffé par le vent comme lâinconnu brun de Caspar David Friedrich ; <br />Le front tourné vers les eaux, dos au continent, <br />On jette un long regard là-bas où rien ne bouge, sauf le gris glacial â <br />Ombres dâessaims de harengs, tankers, torpilles, <em>abstract art</em>. <br />Et on ne reprend ses esprits que grâce à tout ce quâon connaît <br />Comme sa propre main dans lâobscurité. <br />                                                                  La surface des jetées<br />Là-bas, ces brise-lames héroïques (chacune pourvue dâune longue barbe dâalgues), <br />Le phare et le môle, ultimes frontières techniques, <br />Captent le regard. Lâoreille nâenregistre plus quâun rire dément : <br />Câest lâÊtre qui se vautre en riant dans la présence et lâabsence. <br /><br />(<em>Colosse dans la brume</em>, pp.171-172)<br /><br /><br />LâHUMANISTE MISANTHROPE <br /><br />Le cerveau est un grenier, nâest-ce pas ? <br />Le cerveau garde le cap, peu importe ce qui arrive, ou qui gouverne. <br />Le cerveau connaît dâavance chaque danger nouveau. <br />Je mâétais promis de ne pas sombrer. A présent, <br /><br />Me voici parvenu au point où abondent les faiblesses. <br />Elles se déchaînent, cherchent de la compagnie, luttent de façon très familière<br />Pour être reconnues â comme des enfants quémandant des bonbons. <br /><br />Tentative dâautodescription : tu es <br />Misanthrope par sociabilité, humaniste par solitude<br />Aucun questionnaire ne peut te cerner. Toi-même tu parviens à peine à comprendre<br /><br />Que tu sois là, en pleine folie â le plus souvent au mauvais endroit. <br />Le cerveau nâest pas un bunker, mais dehors câest la guerre<br />Pour tout ce qui est démesuré : la foi, le bonheur des deux sexes, lâargent. <br />Le cerveau ne se calme jamais, il ne cesse de protester et de faire des procès. <br />(<em>Bougies dâallumage</em>, p.211)<br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/pLZ6aQHKSZs" height="1" width="1" alt=""/>

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