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(Note de lecture), Marwan Hoss, Jours, par Frédéric Dieu


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Posté 27 novembre 2019 - 10:37

 



Marwan Hoss, galeriste et poète

6a00d8345238fe69e20240a4a1fcd7200c-100wiLibanais devenu français, Marwan Hoss a créé et dirigé de 1985 à 2008 lâune des plus importantes galeries dâart moderne et contemporain (portant son nom), y exposant les plus grands artistes de son temps, parmi lesquels Hans Hartung, Geneviève Asse, Victor Brauner, Zao Wou-Ki, Henri Michaux, Henry Moore, Wilfredo Lam ou encore Pierre Soulages, dont il fut et demeure particulièrement proche.
Galeriste, Marwan Hoss est aussi poète. Les éditions Arfuyen, qui ont publié quatre de ses recueils (Le Retour de la neige, 1982 ; Absente retrouvée, 1991 ; Déchirures, 2003 ; La Lumière du soir, 2014), reprennent lâensemble de ses textes ainsi que des textes inédits, écrits entre 1969 et 2019, dans un recueil intitulé Jours.
On y découvre une écriture brève, dense et charnelle, une écriture parfois fulgurante attachée à dire la douleur et la fécondité de lâexil et de la séparation â le premier exil, la première séparation, étant ceux par lesquels lâon se déprend de soi. Une écriture aussi marquée par la confiance quâelle fait aux mots, lorsquâils, et parce quâils manifestent eux-mêmes un flux et une nécessité internes.

Se déprendre de soi
Se perdre et se déprendre de soi : telle semble être, pour lâauteur, lâune des conditions essentielles du regard poétique. Se déprendre de soi, de son identité, de sa situation.
Pour accueillir en soi le flux de la vie :

Je nâai pas de nom
seulement un sang
quâune veine trahit

Se déprendre de soi pour aller libre et léger à la rencontre de lâautre, en qui, dans un même mouvement, lâon se trouve et lâon se perd :

Jâai gravé ton nom
perdu le mien

Un émouvant lyrisme traverse parfois la poésie de Marwan Hoss :

Tu étais si belle
que les hirondelles
se sont mises à pleurer

Se déprendre de soi, câest aussi, dans une heureuse et courageuse passivité, se laisser regarder et sâabandonner même au regard qui peut être posé sur soi « de lâextérieur » : « Mon âge est dans le regard / de celui qui me regarde » dit ainsi le poète. Câest au fond consentir à ne pas détenir la vérité sur soi, voire à ne pas ou plus la chercher. Alors le regard et la parole peuvent devenir ceux des objets et des êtres qui nous entourent : les autres parlent dans les mots du poète. La poésie de Guillevic, dâune brièveté proche de celle de Marwan Hoss, excelle ainsi à faire parler les murs, les menhirs, les villes â à intérioriser leur regard et à les faire parler du monde des hommes. Dans Jours, câest une statuette dâIndonésie qui pose sur le poète un regard silencieux :

La tête est inclinée
en position de prière
tandis que son regard sans yeux
mâobserve en silence

Fraternité des objets familiers dont sâentoure le poète, dont il dit, dévoilant ainsi une secrète solitude, quâ« Ils ne savent rien de moi / sauf quand je leur parle ».
Mais câest aussi, de toute façon, une nécessité interne qui pousse à se déprendre de soi car ce soi est un pays étranger et assiégé, dont le chef (le « je » ?) est comme expulsé :

Des colonnes de blindés
entrent dans mon corps
et je suis à la frontière de moi déjà
De moi déjà

Loin dâêtre une demeure close et sûre, un refuge certain, soi est une sorte de ville ouverte, un lieu de passage et de flux dont on nâest pas maître. Le poète peut alors se demander « comme faire pour traverser le fleuve / qui traverse ma vie ».

A lâécole de la mort
La fréquentation de la mort parcourt les poèmes de Marwan Hoss. Ce sont dâabord lâabsence et la séparation qui, dans la vie, sont une approche, une approximation de la mort : « Ma vie elle sâest construite / autour de ton absence ». Et cette approche est essentielle, impérative, car la mort est nécessaire, inéluctable, semble même être lâune des raisons de la vie. Inéluctable comme le dit ce magnifique et fulgurant poème :

La mort
est une science
exacte

Comment faire alors pour échapper à lâaiguillon de la mort, pour échapper à son venin ? Le poète livre une réponse nette et paradoxale : il faut, pour cela, vivre en se mettant à mourir, autrement dit fréquenter la mort, en devenir familier, y consentir et, si lâon peut dire, la goûter tant que lâon est vivant. La poésie sâassigne ici un but identique à celui que se fixe la philosophie classique, selon laquelle philosopher câest apprendre à mourir, plus précisément même sâexercer à mourir :

Comment sâéloigner de la mort
sinon en se rapprochant dâelle

Il faut, au fond, ne pas se laisser surprendre par la mort, ne pas vivre comme si elle ne devait jamais arriver. Il faut la devancer, la prendre de vitesse :

Comment faire
pour échapper à la mort
Mourir avant

Confiance dans les mots
Le poète a confiance dans les mots, dans ses mots, peut-être parce quâils manifestent eux-mêmes un flux comme sanguin et une nécessité interne, cela étant le critère et le signe de leur pouvoir et de leur véracité :

Rien nâarrête un mot
qui circule dans le sang

Lorsquâil circule ainsi dans le sang, le mot ne peut, comme il arrive à lâencre, se dessécher. Il est heureux que le poète dise ainsi la confiance quâil place dans les mots, la valeur et le poids de lucidité et dâauthenticité quâil leur accorde. Câest affirmer en effet que la poésie, par les moyens qui lui sont propres, participe dâune quête de la vérité, quâelle atteint au plus haut point lorsque celle-ci porte le vêtement de la beauté.
Vérité car :

Lâécriture sâinterpose
entre la lucidité et la folie

Lucidité car les mots voient à travers la mort (« Même si le mot / identifie la mort / il lâhabille dâespoir »). Lucides sont les mots, comme lâest la nuit :

Je suspecte la nuit
de dormir toujours
les yeux ouverts

Frédéric Dieu

Marwan Hoss, Jours, Textes 1969-2019, Arfuyen, avec quatre lettres inédites de René Char, 2019, 246 pages, 18 â¬.



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