Venez, ceux dont l’œil étincelle,
Pour entendre une histoire de goût,
Approchez : je vous dirai celle
De Messire Baba Yangu.
Il venait d’une vieille faction
De monstres comme on en fait trente –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
Il est des petits de Bretagne
Qui bavent devant leurs desseins ;
Il est des grands jusqu’en Espagne
Qui voudraient bien téter leurs seins,
À ces mages de l’inaction,
À ces gobelins de l’attente –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
Sans doute sont-elles juteuses
Ces poitrines au ventre creux
Et nourrissantes, mais l’affreuse
Plaie qu’elle provoque aux yeux
Ferait regretter l’attention
À tout gaillard, d’une charmante –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
Cependant, pour Baba Yangu,
Plus de trace de cette guilde
Qui détruit de ses doigts maous
Un univers – feu la Mathilde.
Qu’il fut guilleret dans l’action,
Qu’il fut joyeux dans la tourmente ! –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
On pouvait y lire beautés,
Joies, esprit, envie et finesses,
Mais jamais de ces cruautés
De corporatiste, ces bassesses
Qui rendent terrifiant les lions
Et sauvages les gouvernantes –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
C’est qu’il s’éprit du nouveau livre,
De ses essais à discourir,
Comme si, quand on n’est pas ivre,
On avait droit de convertir.
Sans surprise il prit l’attention
De ses semblables et amantes –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
Il se disait : « J’n’en ai que faire
D’ces poivrots-là, ils m’vol’nt mon cœur,
Qu’ils part’nt d’ici, je n’les préfèrent
Pas à un' vie plein' de saveurs. »
D’honneur ou d’admonestation,
Je ne sais ce que je supplante –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
Et puis un jour il rencontra
Le mal nanti et sans culture,
(Ô c’était moi !) et m’éleva
De divins chants de sépulture.
On réduisit la procession
De mon cœur triste qui se manque –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
Mais moi qui hais les viles hanses,
Je m’y suis vite réfugié ;
Pourtant par-delà l’espérance
Il n’y avait qu’à apprécier.
J’ai aimé un homme de Sion,
J’ai aimé son âme, ses savantes –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
J’ai trouvé la vérité crue
Dans les chemins que je fuyais ;
J’ai trouvé l’ami de la rue
Dans les églises du Parfait.
Je luis maintenant sans actions,
Je grandis à présent sans rente –
Enfants, cachez vos affections
C’est l’amitié qui se fomente !
Il fut un ami, un allié,
Il fut toute mon espérance,
Un parrain et un bien-aimé.
Et maintenant que sa présence
Vole si loin dans mes onctions,
Je l’appelle Baba Yangu :
Mon père de bénédiction,
Mon chamane, prêtre et gourou –
Enfants, voilà vos affections
Amitiés sans dessus-dessous !