Aller au contenu

Photo

(Note de lecture) La Monnaie des jours, de Jacques Robinet, par Sabine Péglion


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 29 janvier 2020 - 10:42


6a00d8345238fe69e20240a4e1468c200d-100wi« Arracher à la boue du langage une vraie parole. » Aspiration, souhait ? Quand on commence la lecture du deuxième ouvrage de Jacques Robinet publié par les Editions La Coopérative, cette phrase soudain prend tout son sens. Câest bien ce qui nous retient, une parole qui résonne en nous, si juste, si profonde, quâelle demeure et nous invite à suspendre notre lecture pour la relire, sâen imprégner, se lâapproprier.

Si Jacques Robinet revient sur des épisodes importants de son existence, ceux qui lâont construit, ou blessé, lâenjeu de ce texte autobiographique va au-delà. A quelle finalité, à quelle nécessité obéit lâécrivain en poursuivant ce questionnement, au soir de sa vie, sur son parcours ? Inévitablement il est conduit à sâinterroger sur lâécriture :« Ecrire avec les mots de tous les jours les heurs et les malheurs du monde ». Parvenir à « trouver les mots les plus simples pour traduire des émotions essentielles ». Proche de la recherche de Philippe Jaccottet, poète auquel il rend hommage, il cherche le « mot juste », et sâinterroge sur toute formulation, sâattachant à toujours plus de transparence. Pourtant, ce qui nâest pas antinomique, la forme retient lâattention.

Trois parties structurent le texte.
« Un passé en forme de traces » évoque des instants, des scènes qui surgissent de sa mémoire, quâil retrace, et pour certains rédige comme de réels poèmes en prose. Kaléidoscope de sons, de couleurs, de gestes sans réelle chronologie, mais qui sâimpose et (on peut le supposer) se superpose au temps présent. Celui-ci sâinscrit sous la forme du journal tenu entre 2012 et 2019, avec comme titre générique : « Les jalons du présent ». Enfin le dernier chapitre « Clartés dâavenir » réunit thématiquement des aphorismes, des réflexions, en des phrases brèves parfois un ou deux, trois vers :

Tu retournes à la poussière,
homme â poussière dâétoile :
de quelle lumière, le reflet ?

On réalise alors que lâon tient, entre ses mains, plus que la somme dâune vie. Certes, un homme sâinterroge, voyant se dessiner sur le cours de son existence les berges dâune autre rive, sur ce qui reste dâune vie, sur ce qui le retient encore, sur ce qui lâattend. Ce qui fait la force de cet ouvrage câest non seulement cette voix qui nâhésite pas à se dévoiler ,à livrer ses manques, ses faiblesses ,sans amertume ,sans colère .Car rien nâest occulté « mémoire qui se dégrade, insomnies sans prise sur cette roue du temps devenue folle, fragilité multiple du corps et de lâesprit », interrogations sur le sens même de lâécriture, celle de poèmes notamment, « insatisfaction que jâéprouve à me relire (â¦) sentiment dâéchec, de facilité ou â¦dâimposture », doute sur ce qui nous attend au-delà « funambule  qui avance les yeux fermés sur un fil très fragile », il ne se permet aucun jugement abrupt, aucune affirmation péremptoire. Comme un aveu il nous livre cette recherche « dâune main qui écarte les ténèbres » tout en confiant : « est-ce mirage de douceur, espérance obtuse opposée à la nuit du monde ? Tout est possible et je ne sais ».

Mais plus encore, câest cette injonction à célébrer la plénitude dâinstants quâil nous est donné parfois de vivre, car si « Chaque instant est précieux dâêtre éphémère » encore faut-il en prendre conscience. La seule certitude du sens de notre passage réside dans la perception de la beauté du monde, de la perfection de ces quelques heures, et câest en poète quâil nous les livre :

« Qui dâautres que toi pour surprendre ce passage dâaile, rose et or du nuage qui se déchire à lâinstant ?
Peut-être ne naissons-nous que pour célébrer la tendresse dâun moment perdu. »
« une lueur rose sur un mur à la fin du jour [â¦] irruption passagère dâun ange dans lâopacité dâun monde »

Reste ce livre où sâinscrit sur une magnifique illustration de Renaud Allirand, sorte de voile que transperce la lumière, La monnaie des jours, livre que lâon retient, que lâon offre ne serait-ce que pour ces mots : « Ne rien fermer, demeurer ouvert, sans rien exiger, sans rien refuser. Aimer sans retour [â¦] Lâimportant nâest pas de savoir si Dieu existe ou pas, mais de choisir dâaimer. »

Sabine Péglion 

Jacques Robinet La monnaie de jours, Éditions La Coopérative 2019, 240 p., 21â¬
Sur le site de lâéditeur
 
Lire des extraits de ce livre

49W-DfMZBic

Voir l'article complet