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(Feuilleton) Dans la forêt des jours de Jacques Robinet, 6


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Posté 20 mars 2020 - 03:52

<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: center;"> </p>
<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: center;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><strong>Dans la forêt des jours*</strong><br /></span></p>
<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';">Un nouveau feuilleton de <a href="https://poezibao.typepad.com/poezibao/"><em>Poezibao</em></a>, <em>Dans la forêt des jours</em>, de Jacques Robinet. Comme une suite à <em>La Monnaie des Jours</em>, le livre que les éditions de La Coopérative ont publié à lâautomne 2019. Chaque parution est accompagnée dâune Åuvre de Renaud Allirand. <br /><br /><span style="font-size: 10pt;">*titre emprunté à un poème de <em>La Nuit réconciliée</em> de Jacques Robinet, livre de poésie paru aux éditions La Tête à lâenvers en 2018</span><br /><br /><br /><a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e2025d9b3e93a2200c-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false"><img alt="Suds39-encre-de-chine-29x21cm-allirand-juillet2011 (002)" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e2025d9b3e93a2200c img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e2025d9b3e93a2200c-400wi" style="width: 400px; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto; 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Suds39-encre-de-chine-29x21cm-allirand-juillet2011 (002)" /></a><br /><br /></span></p>
<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: center;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><strong>Dans la forêt des jours, 6</strong><br /><br /></span></p>
<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';">14 octobre 2019 â Matinée inondée de soleil. Mon grand sapin nâen finit pas dâagoniser avec élégance et beauté. Branche après branche, il se dénude lentement. Telles des bannières déchiquetées, pendent les derniers lambeaux du feuillage. La lumière envahit tout. Il semble désormais que la seule fonction de cet arbre soit de livrer son squelette, â échelle dressée dans le vide pour escalader le ciel. Puisse-t-il mâaider à grimper à sa suite vers lâinvisible !<br />Du livre de maximes bernanosiennes que Gérard Bocholier a publié récemment<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, je relève celle-ci qui semble si justement lui correspondre : « Soyez fidèle aux poètes, restez fidèle à lâenfance ! Ne devenez jamais une grande personne ! » <br /><br /><br />20 octobre 2019 â Dîné à la maison, hier soir, avec Jean-Yves Masson et Philippe Giraudon, mes éditeurs qui sont aussi mes amis.<br />A un moment de la soirée Jean-Yves sâétonne que je nâécrive pas davantage sur mon expérience de psychanalyste. Pourquoi suis-je si réticent à répondre à ce genre de sollicitation ? Câest comme si elle menaçait je ne sais quel équilibre péniblement acquis. Je me protège comme je le faisais déjà à lâépoque de mon sacerdoce, quand on mâinterrogeait sur ce que jâéprouvais en lâexerçant. Je ne sais quelle pudeur absurde mâempêche de répondre. <br />La psychanalyse est une expérience vécue à huis-clos. Chaque nouveau patient est un taureau blessé qui rentre dans lâarène. Le matador lâobserve de loin, imagine la suite du combat. Puis le jeu de passes commence⦠La métaphore est certes absurde, mais je la livre pour ce quâelle dévoile de lâappréhension et de lâexcitation mêlées que je ressens au début dâune cure. Cela sâaccompagne dâun sentiment dâindignité et presque dâimposture, au moment dâentamer le processus qui va jeter un inconnu dans un combat pour la vérité, dont jâignore avec lui lââpreté et les difficultés à venir. Comment ne pas se sentir dépassé par un tel enjeu ? Ce métier mâaura fait prendre conscience de mon impuissance, tout en me découvrant la puissance de la parole. Récemment, nâayant pu retenir mon agacement, mon patient, saisissant la balle au bond pour exprimer son agressivité, releva ma sottise. Je me contentai de lui répondre quâil avait raison, quâil pouvait mâarriver de me tromper et que lâinfaillibilité nâappartenait pas plus au psychanalyste quâà quiconque. Cette simple remise en cause de la toute -puissance que le patient prête au Grand Autre à qui il sâadresse, eut un effet interprétatif qui me surprit. Par un effet de rebond, celui qui voulait me blesser se mit à interroger son propre désir dâinvulnérabilité et en vint très vite à dénoncer la posture, que dâautres appellent le « faux-self », où il sâétait enfermé depuis lâenfance. Maintenir depuis toujours cette attitude orgueilleuse et défensive avait ruiné sa vie. Au moment de questionner son propre désir de devenir psychanalyste, il découvrait la vacuité de son désir de prestance. Je prends cet exemple au hasard pour souligner que le non-savoir de lâanalyste doit précéder la fonction quâon attend de lui. La suffisance, la certitude, brouillent notre écoute. Jâai le sentiment après quarante-cinq ans de travail, dâen savoir moins quâau début. Certains patients piétinent longuement, dâautres avancent à bride abattue, est-ce en fonction de moi ou dâautre chose ? Je me pose souvent ce genre de question. Il est vrai que certains types de névrose sont plus ouvertes à lâinconscient que dâautres. Les défenses ne sont pas les mêmes. Il est des discours qui ouvrent et dâautres qui ne cessent de colmater la faille prête à céder. Au psychanalyste il est demandé dâêtre disponible, dâassumer de son mieux « lâhorreur de son acte », comme le désignait Lacan. Que faut-il entendre par là, sinon la reconnaissance presque sacrilège dâoccuper la place vide du Grand Autre, auquel tout discours de vérité sâadresse. Combien de fois, après des journées occupées à tenir cette place, ne me suis-je pas retrouvé seul et désemparé, réclamant à mon tour le secours dâune oreille secourable à ma pauvreté et à ma plainte. Parler de lâanalyse mâest probablement difficile parce quâil sâagit de ne pas surenchérir sur lâimaginaire de ceux qui attendent des révélations surprenantes. On nâest analyste quâà partir de sa propre misère, longuement déployée sur un autre divan. Faut-il dire que câest la seule vraie condition à ce travail ? Je le pense profondément. On ne peut écouter les autres quâaprès avoir dépisté chez soi les ravages causés par de mauvaises ou trop rapides réponses. Faire ce travail câest dénoncer le semblant. Ceux qui nous questionnent ignorent notre pauvreté, veulent se rassurer de réponses précises, ignorent tout du long voyage accompagné, où se risquent ensemble analyste et analysé, enlisés le plus souvent, emportés parfois par lâéclair qui fait rupture dans le discours. <br />Faut-il ajouter que si lâanalyste peut avoir « horreur de son acte », câest aussi à cause de la destitution subjective quâil exige de lui-même. Assumer dâoccuper le lieu de lâAutre, câest renoncer à lâéchange ordinaire entre les hommes, lorsque affects, séduction, projections imaginaires occupent la scène. Rompre avec tout cela implique un renoncement et une ascèse certaines. Il sâagit de rendre toute sa place au travail de symbolisation en se laissant malmener au gré de la parole du patient qui, sâil vous porte parfois sur les cimes de son amour ou de sa haine, finira à la fin par vous rejeter comme un déchet inutile. Vient toujours le moment de conclure et de se séparer. Comme le pensait Dolto, le mieux qui puisse arriver à un patient câest dâoublier son analyste, pour ne garder que lâacquis dâun travail qui, lâayant délivré un tant soit peu de ses entraves imaginaires, lui permet dâaccéder à plus de liberté.<br />Voilà ce que jâaurais voulu répondre hier soir à ceux qui me questionnaient. Jâai bien conscience d'effleurer seulement le sujet. Peut-on comprendre quâau soir de sa vie un analyste puisse lui aussi aspirer à être délivré du rôle quâil a accepté de jouer. Vient le temps de rêver, dâécouter la musique, de laisser sâenfuir les nuages, de moins questionner, de renoncer à savoir, dâaimer avec maladresse, de se préparer à tout abandonner.<br /><br /><br />21 octobre 2019 â Longue déambulation avec Renaud dans les rues de Paris. Plaisir de longer la Seine, malgré le vacarme et la pollution de lâair. Quai Voltaire, à la vitrine dâun antiquaire, une belle Vierge romane du 12<sup>ème</sup> siècle retient notre attention et nous entrons. Une charmante employée nous explique quâon lâa retrouvée récemment dans une grange abandonnée. Telle quâelle, rongée par lâhumidité, ayant perdu la moitié du menton, son fils adolescent sévère planté sur ses genoux, elle garde lâaura dâune douceur pleine de gravité et contemple sans sâémouvoir la circulation. On imagine sa provenance au fond dâune campagne recluse, sa longue veille dans une petite église, les fêtes du mois de mai où on la tirait de lâombre pour lui faire parcourir les ruelles et les labours. On imagine les familles agenouillées sur son passage, peut-être un violoneux pour faire danser le cortège⦠Par pure curiosité, jâen demande le prix. Notre hôtesse semble réfléchir un instant, tourne les pages dâun registre comptable et nous annonce sans sourciller : un million cinq cent mille euros ! Combien a reçu lâheureux paysan qui lâa découverte ? Quâen penserait lâartiste anonyme qui, un jour, dont nul nâa gardé la mémoire, entreprit de tailler amoureusement un billot de bois pour faire pénétrer la tendresse dâun sourire dans la rudesse de son quotidien. Rescapée du temps, des guerres, de combien de suppliques et dâoutrages, cette reine en pauvreté promue au rang du veau dâor, attend résignée son futur adorateur et sa relégation derrière des portes blindées. On nous raccompagne aimablement. Je me retourne encore. Elle poursuit son rêve derrière la vitre. Le flot des voitures fait trembler la chaussée. Je lui lance, de loin, un baiser.<br /><br />Au Luxembourg, la lumière qui filtre entre les nuages caresse les parterres fleuris. Asters et cosmos explosent en gerbes multicolores. Renaud ferme les yeux en sâoffrant au soleil. Je regarde trois enfants jouer sur la pelouse. Une musulmane voilée les surveille et intervient quand les coups commencent à pleuvoir. « Câest pour rire ! » crie le plus grand et les autres surenchérissent. Elle retourne à son banc. La bagarre recommence. Les jolis habits risquent de se salir. On est dans un quartier très bourgeois. Les domestiques, musulmanes ou pas, devront rendre des comptes en entrant. Excédée, celle-ci ramène auprès dâelle le meneur de la bande. Et chacun retourne bouder dans son coin.<br /><br />Pourquoi écrire ces choses ? Pour le plaisir de faire durer le bonheur dâune rencontre. Sur la passerelle des Beaux-Arts, une chinoise, lâair concentré, peint à lâaquarelle les contours de la Cité. Je fais de même en essayant de retenir le sourire dâune statue millénaire, les jeux des enfants, la lumière qui sâattarde sur le visage apaisé de Renaud. Jamais assez de fleurs pour rendre hommage à la vie !<br /><br /><br />22 octobre 2019 â Dans le métro de grandes affiches dévoilent un ciel lumineux parcouru de légers nuages ; invitation à se perdre dans une contemplation peu familière en ces tunnels tapageurs. Une légende annonce « parce que certains voyages comptent plus que les autres » suivi du nom de cette étrange agence <em>: Ad vitam. </em>A qui rêvait dâescapades sur des lagons enchantés, on propose désormais un billet pour lâéternité à des prix modestes, défiant toute concurrence. On admire le ciel avant de se ruer chez le banquier pour payer la grande traversée sans retour. Jâimagine les débats enfiévrés des publicistes avant de parvenir à cette proposition commerciale, si savamment éthérée.  <br /><br /><br />30 octobre 2019 â Septième quatuor de Beethoven. Lâadagio : invitation à franchir la porte, à suivre celui qui appelle avec une irrésistible douceur. Là est lâenchantement du monde, son dévoilement, dans ce chant pressé de confier son secret. Comme à chaque fois, il me suffit de quelques notes pour que sâécroulent aussitôt tous les faux-semblants et que me soit rendu le pays perdu. Vision à la fois exquise et douloureuse qui sâoffre en sâépuisant. Rien ne peut faire que de cette déchirure dans un ciel plombé, la vraie lumière ne me soit parvenue. Tout nâest que voyage sur cette terre, confie ce chant pressé de retrouver lâinvisible. On écoute : la levée dâécrou approche. Tintement dâun jeu de clés devant la porte ; puis les pas sâéloignent, le silence retombe.<br /><br /><br />31 octobre 2019 â Jour gris qui se creuse pour rejoindre les trépassés. Avec une constance remarquable la Toussaint, couleur de cendres, frappe aux vitres glacées. On se rencogne, on se blottit comme un enfant surpris par un maître trop sévère. Sans regrets, ni larmes, sans requête, sans attente, on se fait oublier. Novembre disperse ses chrysanthèmes, fleurs incertaines, pressées de quitter les trottoirs pour submerger les tombes. Je regarde tout ce gris. La vie frissonne, non pas dâépouvante, mais comme ces feuilles qui prêtes à tomber, hésitent, sâagrippent aux branches. Jâaime ce temps de lumière voilée, cette indétermination à la frontière des mondes. Les bruits sâestompent. Le silence est une absence douce. Au fond du brouillard : la mort, pâle présence, soleil dormant. On la pressent, on lâignore. Plus ténue encore, la vie engourdie se terre, sâefface. Sâinstalle un étrange équilibre entre deux forces antagonistes qui font semblant de pactiser. Je ne suis pas dupe, mais souhaiterais que se prolonge cette indécision apaisée. <br /><br /><br />Encre de Chine, © Renaud Allirand, 29 x 21 cm, juillet 2011 ?  <br /></span></p>
<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 10pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond', 'serif';"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Georges Bernanos, <em>Dits et maximes</em> présentées par Gérard Bocholier, Arfuyen, p. 137<br /><br /><br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedbur.../~4/niLwDSyVBUI" height="1" width="1" alt=""/>

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