Aller au contenu

Photo

(Anthologie permanente), Rainer Maria Rilke, Orphée. Eurydice. Hermès, traduction inédite de Patrick Beurard-Valdoye


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 24 mars 2020 - 10:32

<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><br /><br /><strong><em>Orphée. Eurydice. Hermès.<br /></em></strong><br />C'était la mine enchantée des âmes.<br />Telles des minerais d'argent muets elles allaient<br />par filons au travers de l'obscur. Entre racines<br />le sang jaillissait coulant vers les êtres humains,<br />qui semblait dans le sombre aussi lourd que du porphyre.<br />Sinon rien n'était rouge.<br /><br />Il y avait des rochers<br />et des forêts désertes. Des ponts dominant le vide<br />et ce grand étang aveugle et gris,<br />en suspens sur fonds lointains,<br />un ciel de pluie sur du paysage.<br />Entre les prés doux et si paisibles,<br />la bande pâle d'un chemin apparaissait<br />comme du linge mis à sécher.<br /><br />Et c'est de là qu'ils sont arrivés.<br />En tête l'homme svelte en manteau bleu,<br />muet, qui semblait s'impatienter au devant.<br />Son pas dévorait le chemin sans mâcher ;<br />ses mains pendaient lourdement<br />et, jointes, hors du tombé du tissu plissé,<br />elles ne savaient plus rien de la lyre légère,<br />qui s'enracinait dans la main gauche<br />comme un rosier grimpant dans la branche d'olivier.<br />Et ses sens semblaient dédoublés :<br />sa vue courait vers l'avant comme un chien,<br />retournait, repartant toujours plus loin<br />pour attendre posté au prochain virage â<br />son ouïe se retirait comme une odeur.<br />Parfois il paraissait y avoir une incidence<br />sur la marche des deux autres,<br />qui devaient poursuivre toute cette montée.<br />Et puis revenait l'écho de son ascension<br />vent du manteau en arrière.<br />Mais il s'est dit qu'ils arriveraient quand même ;<br />se l'est dit à haute voix quand il s'entendit se taire.<br />Ils arrivaient certes, mais tout deux dans<br />un silence glaçant. S'il avait pu<br />se retourner (si ce regard en arrière<br />n'avait pas signifié la décomposition de toute <br />l'Åuvre accomplie) il aurait dû apercevoir<br />ces deux tranquilles le suivre en silence :<br /><br />le dieu de la marche et du message à distance,<br />son casque de voyageur sur des yeux clairs<br />précédé du bâton filiforme<br />ailes battantes aux chevilles ;<br />et sur sa gauche : <em>elle</em>.<br /><br />Tant aimée, que d'une lyre sont parvenues<br />plus de plaintes que celles des femmes ;<br />qu'un monde de plaintes survint, dans lequel<br />tout avait encore lieu une fois ; sylve et val<br />et voie et ville, fleuve et pré et bête ;<br />et qu'aux parages de ce monde de plaintes, comme<br />autour de l'autre monde, un soleil<br />et un doux front étoilé survinrent,<br />un ciel de plaintes aux étoiles dénaturées â :<br />c'était elle cette tant-aimée.<br /><br />Or elle avançait à la main de ce dieu,<br />le pas contraint par de longs bandeaux de corps,<br />incertaine, placide et sans nulle impatience.<br />Telle qu'en elle-même comme un grand espoir,<br />elle ne songeait pas à l'homme lui montrant la voie,<br />ni au chemin qui remontait à la vie.<br />Telle qu'en elle-même. Et son état de morte<br />la satisfaisait tout en abondance.<br />Comme un fruit de douceur et d'ombre,<br />ainsi était-elle emplie de sa grande mort,<br />toute nouvelle, et dont elle ne comprenait rien.<br /><br />Elle était dans une nouvelle attitude de fille<br />et intouchable ; son sexe s'était nastié<br />à la manière d'une fleur au jour tombant,<br />et ses mains étaient si sevrées d'amour<br />que toucher le plus léger des dieux <br />la menant, fût-ce infiniment doux, <br />l'offensait par trop d'intimité.<br /><br />Elle n'était plus cette femme blonde<br />parfois présente dans les chants de poètes, <br />n'était plus le parfum ni l'île du grand lit <br />ni la possession de cet homme-là.<br /><br />Elle s'effilochait comme longs cheveux<br />ayant lâché prise comme la pluie tombante<br />et distribuée comme des réserves au centuple.<br /><br />Elle était déjà racine.<br /><br />Et quand soudain abrupt<br />le dieu la saisit et de douleur<br />énonça : Il s'est retourné â<br />elle n'y comprit rien et répondit à peine : <em>Qui ça</em> ?<br /><br />Au loin pourtant, sombre devant la sortie claire,<br />il y avait quelqu'un au visage <br />méconnaissable. Il se tenait là et vit<br />comment sur la bande d'un sentier de prairie<br />le dieu du message, d'un regard triste,<br />se tourna en silence, pour suivre la silhouette<br />de celle qui repartait par le même chemin,<br />le pas contraint par de longs bandeaux de corps,<br />incertaine, placide et sans nulle impatience.<br /><br /><br /><br /><br /><strong><a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...9e31b200b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Neue Gedichte" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20240a519e31b200b img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a519e31b200b-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Neue Gedichte" /></a></strong>Rainer Maria Rilke, 1904, Rome &amp; Suède. Poème tiré de <em>Neue Gedichte</em>, 1907.<br />Trad. Patrick Beurard-Valdoye, 21-24 mars 2020 - lire <a href="https://poezibao.typepad.com/poezibao/2020/03/carte-blanche-%C3%A0-patrick-beurard-valdoye-elle-la-confin%C3%A9e-tant-aim%C3%A9e.html" rel="noopener" target="_blank">cette présentation</a> de Patrick Beurard-Valdoye<br /><br /><a href="http://www.rilke.de/gedichte/orpheus_eurydike_hermes.htm">Version originale ici</a>. <strong><br /></strong><br /><br /><br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/wEoGnL33K0M" height="1" width="1" alt=""/>

Voir l'article complet