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Rhodophanies


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#1 En hoir de Loup-de-lune

En hoir de Loup-de-lune

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Posté 04 mai 2020 - 12:26

(Nous souhaitons apporter, avec de larges extraits du "Journal littéraire" de Loup-de-lune, quelques éclaircissements sur le texte qui va suivre, très vraisemblablement tout à la fois l'un de ses plus étendus et de ses plus autobiographiques.

Nous lisons sur le manuscrit de "Rhodophanies" ce qui est sans doute un sous-titre : "Voyage à travers les nuances de Mademoiselle LIN". Notre dictionnaire des racines grecques et latines nous permet de traduire sans crainte de trop trahir : "Manifestations du rose".

Loup-de-lune a écrit "Rhodophanies" au retour d'un voyage en Chine, dans son archipel natal de Zhoushan, que nous avons fait ensemble au cours de l'été 2016. C'était la première fois que nous nous y rendions depuis le choc provoqué par le décès le 24 janvier 2015 de son amie d'enfance LIN Meilihua. Dans le petit cimetière entouré de forêts, "d'ajours de ciel et d'océan", nous nous souvenons de la stupeur de Loup-de-lune qui n'a pas pu lire sur le monument funéraire, ni même regarder, la calligraphie dorant le nom de son âme soeur. Elle n'a pas pu... Nous lisons dans "Rhodophanies" à propos de ce moment "Dorescences en creuseresses", et nous pouvons résumer ainsi l'explication qu'elle nous a donnée de ce mariage de mots si typique de son univers langagier : "Il me fallait, avec le suffixe qui dit tout l'enthousiasme de l'inchoation et qui porte le son du sang, des néologismes, ou des vocables qui ont l'air de ne pas exister, pour suggérer, tout le long de l'allitération du souffle, ce qui ne peut être exprimé..."

Nous touchons ici au drame profond de Loup-de-lune, à la tragédie personnelle de notre amie LIU Bizheng, et qui traverse tout le texte "Rhodophanies" : le sentiment de la fatale responsabilité qu'en raison de son irrépressible besoin d'écrire elle aurait eue dans le destin funeste de LIN Meilihua. Elle s'en est largement épanchée dans son Journal : "Le besoin d'écrire/Est devenu une maladie/L'exigence de solitude/Un monstre qui dévore/Les vraies merveilles de la vie/Mademoiselle LIN/S'est éloignée/Un abîme de neige/Et de pierre/A pris sa vie/L'abîme d'écrire/" (Journal poétique, 10 juillet 2016); "Mais une sorte de culpabilité/Grandit en moi/Coupable d'exister/Comme le Joseph K/Du procès de Kafka/Coupable d'avoir écrit/(...) Comme un possédé/Et d'avoir fait fuir Mademoiselle LIN/Jusqu'au lieu de son abîme/" (Journal littéraire, 17 juillet 2016).
Les soixante-six derniers poèmes publiés par Loup-de-lune dans son blog portent le titre générique "Une saison en poème afin que soit rejointe Mademoiselle LIN" : après l'écriture "aliénante" qui aurait distancé, s'impose l'écriture soeur et leucémique qui va réunissant...

Nous avons le clair souvenir combien Loup-de-lune durant notre voyage a tenu ardemment à offrir de grandes corbeilles de victuailles à la grand-mère de Mademoiselle LIN... Et quelle étreinte entre ces deux êtres nous avons alors vécue là ! Qui peut croire que cette métamorphose qui porte le nom de "mort" a empire sur l'énergie de tels sentiments ?... "Puis la visite à la grand-mère/Une vieille maison/Comme une petite ferme/Partout/Comme pour recueillir la pénombre/Des récipients/ Et nous nous embrassons/ Si fort /Si fort que nous ne faisons plus qu'une/Si fort que tu parais/Si fort que tu es extraite/Nous ne sommes plus qu'une jusqu'à cette épiphanie de toi/Jusqu'à ta tempe veinée de bleu idéal/La concentration de nos corps/ Pour la carnation de ton absence/La grand-mère alla chercher de grands éventails/Assise devant moi/Elle insista pour me rafraîchir elle-même/Du geste lent de son bras/Je demeurai silencieuse/Entre ta mère et ta grand-mère/Qui parlaient avec colorature leur dialecte d'îliennes couleur de cannelle/Qui parlaient de nous peut-être/Parfois je les contemplais/Pour retrouver ton regard chez l'une/Le dessin de tes lèvres chez l'autre/Et tu fus si proche/Lorsque dans mes mains/Furent déposés/Le fruit du pêcher/Et une grappe de raisin/Qu'emperlaient des gouttes d'eau/Ta tombe/Deux grains de raisin sur ta tombe/Le premier au soleil/Le second à l'ombre de la pierre/ (Journal littéraire, 20 juillet 2016).

... et les années s'écoulent, sans une once d'oubli de "l'aïeule", jusqu'à ces lignes du dernier automne sur la Terre : "(.. ) et il y a pour moi quelque chose d'à proprement parler extraordinaire à prendre conscience que la vénérable grand-mère qui vit encore aujourd'hui, qui est née avant l'instauration de la République populaire par MAO Zedong, qui a subi de près l'invasion de la partie orientale de la Chine par l'Armée impériale japonaise durant la Seconde guerre mondiale, qui a traversé la Révolution culturelle, qui a fait le voyage de la Place Tiananmen en mai 1989 pour apporter son soutien au mouvement contestataire et pacifique des étudiants à l'encontre de la politique menée par DENG Xiaoping, qui a assisté en 2013 à l'accession au pouvoir du nouveau "Grand Timonier" XI Jinping, cette femme si tendre et si forte qui se relèverait cent fois... mille fois de la plus redoutable des maladies, oui, il y a pour moi quelque chose de vraiment extraordinaire à réaliser que cette femme-là ne survivrait pas à trois... quatre mots qui lui annonceraient le départ de sa "chère petite Bizheng" (...) Alors, Leukaima, dans tes recrudescences, souviens-toi, comme d'un frère d'écarlate et de brésil, de l'amour de Bizheng pour la grand-mère... aussi, Leukaima, à l'heure de ta victoire, souviens-toi, comme d'un féal de cinabre et d'amarante, de l'amour de la grand-mère pour Bizheng !" (Journal littéraire, nuit du 19 au 20 octobre 2019).




Rhodophanies



Sa main
pour calligraphier le poème
qui vérace
aux primes aubes de notre rencontre
en elle insistait sur mon essence

esseulement
réclusion
taciturnité
jusqu'à l'épure de l'agneau

que sa résonance a déclos

et ce ne serait pas une fugacité
puisqu'en le cadre
s'harmonieraient le bois et le rose


Mais écrire...
ce thoradelphe irait
disjoignant


Par la fatale leucopoïèse
si souvent je lui avais tramé une agonie
afin de souffrir la palinodie de ses sentiments
et la distance accore


Une après-midi de hauteur
son pas fut déçu par le bisse

et l'interminable glisse
du pierrier
fit réel mon conte thanatique

parsemis de carmin
sur le nimbe nival de sa détête de jais


Ensuite d'un bluff de violoncelle
ce poids des albes bois
cinglés de cirrochryses

qui eussent claquemuré son corps


Feu abstrus
acausales pulvérulences


Dorescences en creuseresses
pour l'aplomb de son nom
dans la mirance douteuse des noirs


Lyse
palynogenèse de tous les contrats

il fallut tant
se désencombrer
avant de se dévouer
à l'errance

je lotis la bibliomanie
entre mes ébriétés hyperboréennes

affrontant les amoncellements aimés
j'inventai des rituels
de scission
et d'abandon


Hardiesse et persévérance
ont épiphanié une chambre

vivre et songe se coalisent

léger
le rose s'effluant
interroge

aorte et poumon s'en inspirent

elle ne convainc pas
sa source de voilages

après long temps de quadrilatère
ombreux
ou contrit
ou commémoratif

les vers offerts
vont flottant

doucement
se désassemblant

syllabes
renouant avec les prémices disponibles

le jour clair telle la volubilité des possibles


L'agneau
ne serait pas continûment taciturne

il a quelques mots à dire lui aussi

il est capable de répandre lui aussi
la splendeur

sa résistance
qui hurle à même le réel


Écrire...
l'affliction devient ce geste
passerellier d'alphabet


C'était aux confins du don
là où se délinéamente le sacrifice
ce voyage qui me déplaçait depuis le signe de son allophanie

cette maison pour sa naissance

la grâce des galops
peinte sur l'éploiement d'un éventail

les acajous laqués de l'ébénisterie
arquant au-dessus des draps pastel
ses déliements de fleurs

ces drames solaires pour pelliculer ses enfances

mes larmes dorénavant réfléchies
dans la masure d'ombre suintante
où l'aïeule a prodigué le frais perlage de ses fruits

un morceau du minéral porté par l'archipel
et taillé en l'amour qui accote
et accomplit deux êtres
a essencielé mon bagage


Écrire...
le blanc
qui donnera du repos à la reconquête manuscrite
la couverture déjà l'agrée

et l'incarnat des corolles arboré
gorge un extrait de ramée

systole les vaisseaux du titre
au-dessus de l'atrament qui débaptise


Je suis revenue dans les indécisions bienfaisantes de la chambre

lumière
une part du rose
se cristallise

aussi reparue
la délicate limite entourant l'expectative du verre

son adéquate surface où disposer
le bouquet de l'hôtesse
le présent du frère
le florilège de l'agneau

et de poème en poème le courant
que la conscience ne possède
et qui revient du tréfonds avec la voix d'Homme

dissuade l'heure d'enténébrer l'ondoyant ouest de voile


Loup-de-lune
LIU Bizheng

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