DE L'AIR FRAIS
Lorsque je retrouvai l’air libre de Victoria Street au sortir de celui, conditionné et un peu confit, des locaux du Yard, une chose me frappa : cet air était sec, comme le trottoir, et l’avait été depuis le départ de Douvres. Anomalie !
Fallait-il que d’autres problèmes aient retenu mon attention pour n’en prendre conscience que sept heures après avoir posé le pied sur cette île « sous le vent », ou était-ce simplement l’embarras de mon grand parapluie aussi inutile qu’impliable. J’optai pour la première hypothèse, sachant qu’un parapluie, si inutile soit-il dans l’instant, pouvait ici se révéler indispensable l’instant d’après, et que s’il était un endroit où jamais sa présence ne serait incongrue, c’était bien Londres.
L’expérience allait se vérifier une fois de plus en cette belle après-midi d’Avril qui pour le moment, non contente d’être sèche, dispensait même quelques chauds rayons printaniers.
Et c’est comme un gosse ravi d’être en vacances que je décidai de profiter de l’air tout neuf, aux senteurs redécouvertes de liberté et de douceur, pour réfléchir aux propositions qui venaient de m’être faites.
Ce qui m’offrait l’avantage de me faire rattraper mon exercice physique journalier, que le voyage avait exceptionnellement rayé de mon emploi du temps matinal.
Je choisis l’itinéraire le plus court, qui serait déjà une belle promenade, tant par la distance que par la fraîche beauté des quartiers verdoyants qu’il me ferait traverser : un crochet au nord à la rencontre de Saint James’s Park, puis Buckingham, Green Park en enfilade, Hyde Park Corner, et si le temps se maintenait au beau, le parc lui-même et Rotten Row, plutôt que le bruyant et encombré Knightsbridge.
Mais d’abord cap sur le parc Saint James.
Trois parcs royaux enchaînés dans la foulée, avec en prime le gros gâteau à la crème du mémorial dédié à l’ancêtre impériale, face à la chaumière de sa rejetonne de Queen, voilà un programme non moins royal ! Et dont mon profond tempérament républicain s’accommodait sans aucune arrière pensée, car « quand tu es à Londres, fais comme les Londoniens », comme auraient pu dire les Romains.*
Bien qu’approuvant sans réserve cette sagesse proverbiale qui, mise en pratique par tout un chacun, éviterait bien des soucis à l’humanité toute entière, je chassai de mon esprit d’autres considérations philosophiques du même genre pour analyser une dernière fois la situation.
J’étais d’ailleurs arrivé à Saint James’s, dont les frondaisons toutes neuves et presque translucides laissaient largement filtrer les rayons du jour ensoleillé. Les pelouses étaient constellées de gouttes de lumière qui arrosaient à sec, une fois n’est pas coutume, les primevères et les jonquilles poussant à vue d’œil en immenses tapis, terrains de jeux favoris et chatoyants des écureuils toujours plus nombreux.
Pourquoi, cette année, étais-je aussi réceptif à ce spectacle pourtant rituel de la nature renaissante, toujours plus vivace, toujours plus belle, et si rassurante finalement dans le cyclique de son annuelle surprise ? Me poser la question était peut-être déjà y répondre un peu, car une fois de plus, mes pensées me ramenèrent à Louisa.
Paname