Aller au contenu

Photo

Dédain


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 En hoir de Loup-de-lune

En hoir de Loup-de-lune

    Tlpsien ++

  • Membre
  • PipPipPip
  • 170 messages
  • Une phrase ::_diaphanescence
    _jadescence
    _libellulescence
    _opalescence
    _albescence
    _ramescence
    _évanescence

Posté 19 juin 2020 - 12:23

(Notes : 1. Une après-midi de printemps, à peine émergée de l'un de ces demi-sommeils dans lesquels la leucémie l'enveloppait parfois, Loup-de-lune se leva, s'approcha tout sourire, et dit : "Oh ! aujourd'hui la trobaïrits m'offre ces mots : "À la luzernière épierrée que le veloutier colore"... Et en effet, ces mots n'avaient pas été cherchés, n'avaient pas été inférés, n'avaient pas été ouvragés, mais leur imagerie et leur musicalité mystérieuses étaient données par l'inconscient... peut-être à la suite d'une lecture un peu distraite au cours de laquelle aura été rencontré ce nom de métier, "veloutier", inconnu jusque-là... La trobaïrits, mot provençal s'il en est, chéri de Loup-de-lune, par lequel elle désigne souvent la maladie et ses effets poétiques, celle qui "trouve", la "troubadour", son équivalent dans la langue d'oïl étant bien sûr "trouvère"... Combien se vérifie alors cette pensée de Paul Valéry : "Il y a des vers qu'on trouve. Les autres, on les fait. On perfectionne ceux qu'on a trouvés. On "naturalise" les autres. Double simulation en sens inverse pour atteindre ce faux : la perfection." Or, la jeune leucémique a "trouvé" deux vers, il lui reste à "faire" les autres, à "perfectionner" autant que possible le texte qui va devenir le poème "Dédain". Un membre de Toute La Poésie, caillou caillasse, a écrit à propos du poème "Drakkar" paru dans le blog de Loup-de-lune le 05/07/2018 : "(...) c'est un conte merveilleux (...)". Nous ne pouvons que reprendre ce substantif et son qualificatif à propos de "Dédain" où Loup-de-lune, avec ses mariages de mots, tente de développer son "merveilleux", son "fantastique" à elle... Un "veloutier" est violemment "dédaigné" par la fille qu'il courtisait, et il reçoit un "soufflet de l'ampleur de l'étoffe naïvement offerte", dans l'atelier même où il travaille. Oubliant alors horaire et contrat, il s'en va, il rompt, comme les filles musicales des "Symphonies de Bruckner" (voir le blog Janvier-septembre 2019), pour s'abandonner à une errance, à un voyage "déclive" vers le dépouillement, vers "l'humiliation", vers l'humus, vers l'étymologie de l'Homme, où mourir à la lumière sanguine de la "luzernière épierrée" n'est pas la fin, mais cette cesse du superflu et de la chimère... 2. La forme "encor" n'est pas le moins du monde une faute d'orthographe, mais une apocope au service de l'idée de la blessure, de l'écorchure, de la rupture infligée par la fille au veloutier. 3. Dans ce même deuxième vers, nous observons sur l'un des manuscrits que le mot "angélique" a été biffé et remplacé par "séraphique", avec le commentaire suivant : " (...) elle reste ange certes, mais un ange qui brûle de dédain !" Or, "séraphique" d'après "séraphin", est précisément issu de l'hébreu seraphim, apparenté au verbe saraph "brûler". 4. Le troisième vers est un alexandrin régulier 4/2//4/2 qui rythme l'évidence d'un amour non partagé, incongru, unilatéral, voué à l'échec... et toute la suite métrique du poème est une rébellion, ou une sédition contre cette évidence, une quête éperdue, cahotée, "par à-coups de vers", qui éloigne de la navrante "idylle cinématographique", pour découvrir, pour approcher les affinités véritables. 5. Dans l'un des manuscrits, nous constatons que le mot "ébouriffage" a été remplacé par "ébouriffement", et en effet, avec ce dernier, les syllabes du sixième vers présentent davantage de contraste, image sonore du bouleversement des sentiments éprouvés par le veloutier. 6. Au vers 29, nous lisons "l'étésien optatif" : le mode optatif, qui dans certaines langues exprime le souhait, se lève comme l'un des vents étésiens, ces "vents du nord qui soufflent dans la Méditerranée après le lever de la canicule, pendant quarante jours environ". La "grande chaleur" suffocante de la colère et de la révolte est passée, voici désormais la grande respiration fraîche du souhait essentiel... 7. Le dernier mot du poème, "aberrés", est le participe passé du verbe issu du latin aberrare "errer, s'écarter". Nous avons montré, à l'occasion de la publication du poème "Planasthai" le 05/06/2020 dans le salon Sans commentaires, que la "planète" est, étymologiquement, la grande "ab-erration", la grande "vagabonde", la grande "errance"... Le "buste" humain a été rejeté par le mouvement de "dédain", mais son essence est recueillie par le mouvement de la planète, et la concorde est soulignée par l'assonance "désoeuvrÉES-aberrÉS". Le sang même du veloutier "colore" la luzernière, mot provenant du latin lucerna "lampe", les graines de la luzerne étant brillantes, et reposant sur la racine indo-européenne *leuk- "être lumineux, éclairer" : ainsi, voilà le sang lumineux, voilà la jeune leucémique, voilà la "développeuse" du poème, confondue et avec la trobaïrits et avec le protagoniste pour ré-enluminer à leur source toutes les lassitudes, et entraîner corps et matières dans leur florissante révolution de planète !... Foin des blandices de pacotille, des attirances pusillanimes, des désirs égocentriques ! Foin du présomptueux, du fallacieux "amour" psychométreur des versifications martelées de jugements et de poncifs !... Voilà la jeune leucémique, dans la lumière onirique de la pierre et du velours réconciliés, au coeur de la dynamie aimante, comme le dit Dante Alighieri, à la fin de son Paradis, "che move il sole e l'altre stelle".)



Dédain



Sa surgie
séraphique encor

et l'étoffe pourprée de son ample soufflet


Un fleurose silence
incise la cadence de l'atelier


Le lugubre diaphane et l'ébouriffement de jais
ont prosterné le bleu

les douceurs
de l'inaccepté chemisier luttent avec
les empoignes

abstrait
déjà de toute conséquence
résolument de soi-même métaphore
s'en vêt

l'horloge darde ses fixatrices
et moelleuse
la cesse les absorbe


L'humiliation cavalante
tisse une voirie déclive

cette venelle où
parmi l'eau-forte sans âge
couler
pénombrier de l'impassibilité diurne
qui va se calfeutrant
en l'étincelle
de la célère lame

par à-coups la pellicule de l'idylle


À la luzernière épierrée
qu'embruisse l'étésien optatif
et que le veloutier colore
viennent boire laines et soies désoeuvrées
cotons marcescibles des bustes aberrés



Loup-de-lune
LIU Bizheng

Fichier(s) joint(s)