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(Anthologie permanente) Jacques Ancet, Chutes - 5


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Posté 13 juillet 2020 - 08:33


6a00d8345238fe69e20263e9560f2a200b-100wiLes Editions Alidades ont publié récemment Chutes â 5 (notes 2005-2010) de Jacques Ancet.

2006

Sur la fenêtre
On croirait, au fond, par-delà les collines, voir sâétendre un lac dont les rives seraient les montagnes. Au lever des yeux, câest dâabord ce qui saisit le regard, dans la surprise de ne pas reconnaître le paysage familier. Lâespace paraît sâêtre élargi, approfondi, et Saint Martin être devenu, pour un matin, une station balnéaire toute tournée vers les eaux gis perle. Pour un moment, lâacte de perception se montre à découvert : une construction du donné à travers des images, des schémas mentaux qui lui donnent forme et le font entrer dans la catégorie du nommable : ici un lac et ses rives. On a beau savoir que ce quâon voit nâest pas ce quâon voit, la vision persiste jusquâà ce quâune légère variation atmosphérique vienne comme un rideau doucement tiré peu à peu gommer lâillusion et rendre au paysage sa rassurante physionomie.

*

Pour les Pythagoriciens, le temps était infernal. Le nombre le réduisait, le rationalisait.
Compter apaise lâangoisse du temps. Câest une sorte de rite qui apaise lâhorreur quâil suscite dans la monotonie.

*

Shelley, A Defense of Poetry (1821) in Critique du rythme :
« La poésie est en vers, elle est mesurée, parce quâelle exprime lâordre et lâharmonie du monde, dont le mètre est un symbole, une correspondance. Les poètes sont ceux qui âimaginent et expriment cet ordre indestructibleâ. Par quoi la poésie est proche de la religion, de la prophétie, qui est un âattribut de la poésieâ.
La distinction entre âlangage mesuré et non mesuréâ est à poursuivre, âcar la division populaire entre prose et vers est inadmissible dans une philosophie exacteâ. Une motivation originelle généralisée fait la nécessité poétique : âles sons aussi bien que les pensées ont les uns et les autres une relation entre eux et par-delà ce quâils représentent, et une perception de lâordre de ces relations a toujours été trouvée en connexion avec une perception de lâordre de ces relations de penséesâ. La poésie est la perception de cette motivation généralisée : âDâoù le langage des poètes a toujours affecté une certaine récurrence harmonieuse et uniforme de son, sans laquelle il ne serait pas de poésieâ. Le mètre en est lâobservation â âun certain système de formes traditionnelles dâharmonie du langageâ. Mais le poète innove par rapport à la tradition. Le jeu de lâinnovation et du rythme mis dans la pensée lui fait récuser la distinction entre poètes et prosateurs et étendre la notion de poésie : âLa poésie lève le voile sur la beauté cachée du monde et fait que les objets familiers sont comme sâils nâétaient pas familiersâ. Avec ou sans vers, certains philosophes, certains historiens sont poètes. Le vers nâest plus quâune forme parmi dâautres des révélations de lâordre universel. Le poème est âlâimage même de la vie exprimée dans sa vérité éternelleâ. Le rythme est libre du vers. Chaque fois quâil y a un âécho de la musique éternelleâ, il y a rythme, poésie.
pp. 10 et 11

/

Sur la fenêtre
Les gouttes noires et blanches sur la vitre, la cime des arbres d'un vert sombre, touffu, la fumée des collines, leur découpe à peine sur le ciel plus pâle, un semis de cris d'oiseaux comme une légende sous l'image...

*

Que signifie cette incapacité toujours marquée à écrire autre chose que ce que je vis à l'instant même ? Comme s'il me fallait me raccrocher à ces bribes concrètes de la vie pour ne pas me dissoudre. Et, en même temps, paradoxalement, en avoir besoin pour m'effacer et laisser être ce qui est. Peut-être la bonne expression est-elle celle-là. Écrire ce serait tenter par le langage de rompre les digues, les blocages psychologiques, logiques ou autres pour, oui, laisser être. Ce qui réclame de passer et de s'ouvrir. Ce qui ne peut se faire qu'ici et maintenant.

*

Le nouveau texte qui vient. Quelque chose comme un élan ou une force obscure qui pousse. Dans les mots, le plus souvent insatisfaisants, quelque chose pourtant se fait, je le sais d'un savoir trouble. Il y a là, également, une sorte de forme qui s'impose â une suite de vagues, une force horizontale qui draine avec elle les visions les plus diverses. Ça ressemble un peu à l'écriture d'Obéissance au vent, mais en beaucoup plus lent, plus têtu, plus sourd. J'ai d'ailleurs du mal à m'y retrouver ou à continuer. Souvent la tension baisse et il faut un effort d'oubli pour qu'elle se rétablisse. Mes textes longs se font toujours ainsi : par une alternance de tension et de relâchement, d'enthousiasme et de découragement, de hauts et de bas. Et j'attends patiemment ce qui doit émerger ou non de tout cela.
p. 25.

Jacques Ancet, Chutes â 5, notes 2005-2010, Alidades, coll. création, 2020, 46 p., 6â¬
Sur le site de lâéditeur


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