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(Note de lecture) Park Ynhui, L’Ombre du vide, par Jean-Nicolas Clamanges


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Posté 10 août 2020 - 01:17

<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><strong><br /></strong> <a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...b5dcf200b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Ombre-du-vide Recadré" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20263e95b5dcf200b img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20263e95b5dcf200b-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Ombre-du-vide Recadré" /></a>[...] Questions délicates se mordant la queue<br />Pour des réponses qui passent<br />            en fondant comme neige [...] (p. 17)<br /><br />Tel est le ton doux-amer de cet écrivain qui conjugue poésie et philosophie dans sa quête de vérité, en « refusant de morceler la prodigieuse question » comme lâécrivait René Char à propos dâHéraclite (a). Né en 1930, docteur en littérature française et en philosophie, Park Ynhui enseigne et publie aux USA puis en Corée (b) parallèlement à lâélaboration dâune Åuvre poétique majeure, écrite principalement en coréen, mais aussi en anglais ©. <em>LâOmbre du vide</em> (Séoul, 2006) constitue une anthologie de sa production en coréen de 1979 à 1989 : quatre recueils (d) dont certaines pièces avaient déjà été publiées par la revue <em>Po&amp;sie</em> (e). Il a, depuis, publié deux autres recueils en coréen, dont lâun : <em>Ballade matinale</em> (2006) a reçu le prix Incheon.<br />Dans la présente traduction, <em>LâOmbre du vide</em> enrichit lâanthologie originale dâune ample postface : « Nâécoutez pas la voix dâun cochon », qui reprend un texte écrit directement en français alors que lâauteur quittait Paris pour enseigner aux USA, et que publia la <em>Nouvelle revue française</em> en 1967. Ces pages sont hantées dâune immense révolte contre lâabsurdité de la destinée humaine, autant que par la nostalgie irréductible dâune harmonie dont, plus tard, le chemin lui sera accordé par ce quâil nomme « le trésor perdu de la pensée taoïste et bouddhiste ». Sa poésie reflète cette double postulation chez un homme né sous lâoccupation japonaise, qui a vécu les ravages de la guerre de Corée (1950-1953) et déplore profondément la division de son pays, mais qui nâa jamais cessé de méditer lâordre du cosmos comme « sens du sens » et « lumière de lâêtre », malgré le « sens mis en pièces » sur notre planète, comme il lâécrit dans le poème intitulé « Fragments dâétoiles ».<br /><br />Cette poésie allie une extrême simplicité de vocabulaire et de syntaxe avec une profondeur méditative jamais démentie : ce qui la rend à la fois immédiatement partageable parce que les sensations, les impressions, les sentiments sont ceux de tous, et tout à fait dérangeante car notre expérience ordinaire du monde, du langage et de nous-mêmes sây avère soudain parfaitement énigmatique, nous ramenant ainsi à la posture dâétonnement propre à lâauthentique philosophie : « Limpide, le ciel/Et lâautomne/Parce quâil nây a aucune/Raison à leur présence//Les vies dénuées de raison/Sont pures et dénuées de sens/La fleur exhale son parfum » (p. 65). On se trouve ici dans les parages du poème le plus connu du mystique allemand Angelus Silesius, intitulé « Sans pourquoi » (f) ; cependant, ce recueil qui sâarrête maintes fois devant stèles, tombes et monuments ne médite aucune éternité en Dieu, mais un monde où « Même la pierre sâeffrite/Même les noms inscrits dans la pierre sâeffacent » (p. 97) â étant concédé malgré tout quâà Cologne ou à Rome, « Ceci â même si câest vain â /Tour de victoire sur le néant » (p. 92).<br />Le cÅur de cette méditation sâalimente aux sources mêlées du Tao (un recueil de 1981 sâintitule <em>Le rêve du papillon</em>) et du bouddhisme (un poème sâintitule « Samsara », un autre « Zazen », un autre « Nirvana »), non sans humour parfois sombre, ni quelque auto-dérision à lâégard, par exemple, de la difficulté de méditer concentré : « Jâouvre les yeux/Les ferme/Je chasse mes pensées, elles reviennent/La seule certitude/Câest un serein chaos/ [...] Je pense et cesse de penser/Seul dans un coin de la pièce assis/Ce nâest jamais que moi ». <br />La thématique de la vacuité est inscrite dans certains titres de recueils : <em>Lâombre du vide</em>, <em>Échos du vide</em>, ou de poèmes : « Sérénité du vide » ; mais elle est surtout diffuse dans les thèmes de lâombre, de lâécho, de lâinvisible ou du sens défaillant : un recueil de 1987 sâintitule ainsi <em>Lâombre des choses invisibles</em>. Comme lâenseigne le <em>SÅ«tra du CÅur</em>, si vacuité il y a, elle nâest pas expérimentée autrement que dans la manifestation, et réciproquement ; câest ainsi quâun poème aborde la neige : « Neige jusquâaux genoux/infinie en tous sens/Infiniment profonde/Surface sereine du vide/ [...] (p. 84). Un autre médite lâeffacement des formes au soir tombant : « [...] Villes et villages/Toi et moi/Ombre où tout sâefface » â expérience banale, mais dont le poème signale la portée universelle : « Tous les événements/De lâHistoire/Les choses petites ou grandes sont/Comme une seule chose/Apparue bientôt disparue/La silhouette/Sous/Lâombre de quelque chose dâinvisible [...] » (p. 114). Cette quête de ce que le poète nomme « lâimmense Un » (<em>id</em>.) latent au sein des facettes indéfiniment renaissantes de la phénoménalité, affleure un peu partout ; ainsi, à propos de lâécho, « Enfermé dans/Un immense principe/Sans forme/Invisible et/Inconnu de tous » (p. 51), ou bien à propos de ce que manifeste « La réalité innombrable/Des formes innombrables » : « Sans bruit profondément/Vivent toutes choses/Toutes choses vivant/LâUn/Immense/Avec aussi/Lâêtre et le néant ».  <br />Cette inclusion paradoxale de lâêtre et du non-être dans lâUn surprend lâesprit occidental, formé aux principes de non-contradiction et du tiers-exclu, mais elle nâa rien dâexceptionnel dans le contexte philosophique extrême-oriental. Comme le montrent certains travaux récents (g), ces philosophies recourent, que ce soit dans lâhindouisme ou le bouddhisme, à une figure dialectique niant ces deux principes, et connue sous le nom de « tétralemme ». En voici la formulation classique chez le penseur bouddhiste NÄgÄrjuna (II<sup>e</sup>-III<sup>e</sup> siècles) : « Tout est bien comme il semble,/Rien comme il semble./À la fois comme il semble/Et non comme il semble./ Ni lâun ni lâautre./Tel est lâenseignement progressif des Buddhas. » (h) <br />Plusieurs poèmes du recueil explorent cette problématique à partir de la méditation de notre perception du plus <em>élémentaire</em>, comme on le constatera dans lâun des extraits donnés ci-dessous. Il ne sâagit en rien, bien sûr, de se contenter de variations littéraires illustratives du tétralemme, mais de travailler poétiquement son énigmatique enjeu, autrement dit, de le vivre et de lâapprofondir pour ainsi dire expérimentalement. Un poème intitulé « Sur la souffrance dâécrire » en témoigne, qui débouche sur une conjecture quasi mallarméenne relative au langage poétique (i). Cette note ne pouvait trouver conclusion plus <em>ouverte</em> :<br /><br />La montagne est montagne, lâeau est eau,<br />La montagne nâest pas montagne, lâeau nâest pas eau,<br /><br />Lâhomme est homme, le chien est chien,<br />Et il nây a pas de différence entre homme et chien,<br /><br />Distance non abolie entre la montagne et lâeau<br />Différence non réduite entre lâhomme et le chien<br /><br />Parce que la montagne est montagne, le poète souffre<br />Parce que lâhomme nâest pas homme, le poème ne sâécrit pas<br /><br />Le poème serait dans un entre deux qui ne serait ni la montagne ni lâeau<br />Le langage poétique étant dans lâécart de lâabsence<br />Dâune langue qui nâest ni homme ni chien<br /><br />Homme et eau se mêlent<br />Homme et chien deviennent un<br /><br /><strong>Jean-Nicolas Clamanges<br /><br /></strong>Park Ynhui, <em>LâOmbre du vide</em>, traduit du coréen par Benjamin Joinau, illustrations dâAlain Bert, Ateliers des cahiers, Paris-Séoul, 2012, 10 â¬.<strong><br /><br /></strong><span style="font-size: 10pt;">(a) R. Char, « Héraclite d'Éphèse » [1948], <em>OC</em>., Gallimard, Pléiade, 1995, p. 720-721. </span><br /><span style="font-size: 10pt;">(b) Plusieurs essais, dont <em>La philosophie de lâart</em> (en coréen, 1983), <em>Essais philosophiques et littéraires</em> (en français, 1997), <em>Man, Langage and Poetry</em> (1999), <em>La philosophie du nid</em> (en coréen, 2010).</span><br /><span style="font-size: 10pt;">© <em>Broken Words</em> (1999), ensuite traduit en allemand (<em>Verbrochene Wörter</em>, 2004).</span><br /><span style="font-size: 10pt;">(d) <em>La rivière Charles sous la neige</em> (1979), <em>Le rêve du papillon</em> (1981), <em>Lâombre des choses invisibles</em> (1987), <em>Échos du vide</em> (1989).</span><br /><span style="font-size: 10pt;">(e) N<sup>os</sup> 121 (2007) et 139-140 (<em>Corée 2012</em>), en accès libre sur https://po-et-sie.fr....fr/#</span><br /><span style="font-size: 10pt;">(f) « La rose est sans pourquoi ; elle fleurit parce quâelle fleurit,/Nâa garde à sa beauté, ne cherche pas à être vue. » <em>Lâerrant chérubinique</em>, traduit par Roger Munier, Arfuyen, 1993, p. 65.</span><br /><span style="font-size: 10pt;">(g) Françoise Dastur, <em>figures du néant et de la négation entre orient et occident</em>, encre marine, 2018 ; Yamauchi Tokuryû, <em>Logos et Lemme, pensée occidentale, pensée orientale</em> (1974), traduit du japonais par Augustin Berque, CNRS éditions, 2020.</span><br /><span style="font-size: 10pt;">(h) NÄgÄrjuna, <em>Stances du milieu par excellence</em>, trad. Guy Bugault, Gallimard, 2002, p. 233. Autre version : « Tout est vrai, non vrai,/Vrai et non vrai,/Ni vrai ni non vrai ; /Tel est lâenseignement de lâÉveillé. » <em>Traité du milieu</em>, trad. Georges Driessens, Seuil, 1995, p. 170.   </span><br /><span style="font-size: 10pt;">(i) Park Ynhui est lâauteur dâun essai intitulé <em>LâIdée chez Mallarmé</em> (en français, Seojin, 2005).</span> <br /><strong><br /></strong><strong><br />EXTRAITS<br /></strong><br /><strong>La cicatrice<br /></strong>Une balle visée par son semblable<br />Rouillant dans la poitrine du soldat<br />Sur la colline où tous sont morts<br />Tombe une neige fondue<br /><br />Ivresse dâune liqueur forte<br />Les toits de la ville<br />Les fils de fer barbelés flottant au vent<br />Une cicatrice comme ces fils<br />Chacune de ces traces<br />Comme dâune sentinelle la pointe du couteau<br />Tombe la rancÅur<br /><br />Quand le ciel se fendra<br />Verrons-nous se lever des étoiles gracieuses comme des fleurs ?<br />Jusquâà présent<br />La cicatrice souillée de sang<br />Vise un ciel sombre<br />Ouvert comme une gueule<br />Et dans mon cÅur aussi maintenant<br />Tombe une pluie de larmes<br />                                               (poème écrit pendant la guerre de Corée)<br /><br /><strong>Tombent des flocons de mots<br /></strong>Les pensées non abouties<br />Devenues poussières<br />Même ordonnées même assemblées<br />Tombent les flocons de mots<br />Le cÅur dispersé sâécroule<br />Lâamour non réalisé<br />Devenu larme<br />Comme des flocons de neige tombe le sens des hommes<br />Et on a beau chercher, patienter<br />Le sens de lâexistence<br />Au creux de la main fond<br /><strong><br />Terre étrangère<br /></strong>Moi jâhabite la maison dâautrui<br />Je porte les habits dâun autre<br />Je parle une autre langue<br />Je pense la pensée dâautrui<br />Je ressens les sensations dâun autre<br />Je suis sur la terre dâautrui<br />Je suis la vie dâun autre<br /><br /><strong>Les yeux, les oreilles<br /></strong>La montagne est une montagne<br />Le fleuve est un fleuve<br />La montagne visible nâest pas vue<br />Le fleuve audible nâest pas entendu<br /><br />Choses vues pures ombres<br />Choses entendues, simples échos<br />Dâaveugles yeux<br />Voir ce qui est invisible au-delà de la montagne<br />Dâoreilles sourdes<br />Écouter ce qui est inaudible dans lâeau du fleuve<br /><br />La montagne nâest pas une montagne<br />Le fleuve nâest pas un fleuve<br />Le village où sâaperçoit une église<br />La campagne où résonne une cloche<br />Quelque part infiniment loin<br />Quelque part immensément profonds<br />Le visible<br />Lâaudible<br /><strong><br /><br /></strong><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/0B_4KaNMRlg" height="1" width="1" alt=""/>

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