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(Note de lecture) Jacques Josse, Au bout de la route, par Alexandre Ponsart


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Posté 12 août 2020 - 09:39

 

6a00d8345238fe69e2026be407db0c200d-100wiUne couverture foncée accompagnée dâune gravure de Scanreigh donnent les prémices de ce qui suit. Dix gravures, telles des pierres tombales, accompagnent le texte poétique de Jacques Josse qui perpétue son écriture autour de la mort. Cette dernière est présente tout le long de lâouvrage et se manifeste au bout de la route, dans un virage sinueux et se retrouve partout comme en Afrique, en pays Dogon, en France sur la promenade des Anglais à Nice.

La mort nâagit pas par préméditation. Elle pioche au hasard et se demande même parfois ce quâelle vient de faire sans pour autant perdre le moindre détail dâune scène dâaccident.
Elle retient, note dans un carnet illisible, un agenda vieux de plus dâun siècle, quelques-unes des injustices que dâautres lui refilent. Elle note les itinéraires, trajectoires et transversales nord-sud quâelle aime dessiner quand elle sâarrête, peu avant lâaube, pour faire le point et cocher sur ses cartes lâendroit exact où tel ou tel parcours terrestre a été brusquement stoppé. Elle nous convie à partager son voyage et à prendre conscience que telle ou telle personne qui a disparu avait encore beaucoup à dire. Câest notamment le cas dâIsadora Duncan, danseuse aux pieds nus, qui sâéteignit en voiture étranglée par son foulard dont lâune des extrémités venait de sâenrouler autour du moyeu de la belle décapotable. Elle avait encore tant à faire, elle qui révolutionna le ballet classique et inventa la danse libre. La mort conserve et nourrit sa mémoire de tous ces accidents et se promet dây revenir par la pensée. Il lui suffira, le moment venu, de fouiller dans ses archives.

La mort semble avoir une préférence pour ceux et celles dont la vie sâest achevée sur le bord des routes. Plus précisément des morts par accidents automobiles comme Roland Barthes et une camionnette, Pierre Curie et un fiacre. Elle prend plaisir à se remémorer les à-côtés avec la mort de lâécrivain W.G. Sebald. Il roule en prenant le temps de regarder la campagne (â¦) Une douleur comprime sa poitrine. Elle lui monte à la tête. (â¦) Câest en plein virage quâil perd subitement le contact (â¦)  La mort évite les litanies. Ne tient pas à en rajouter. Sâen va fumer au bord des tombes. Il faut dire que ses archives sont bien remplies : Marc Bolan, Cheo Feliciano, Hugo Koblet, James Dean, Jackson Pollock, Albert Camus, Alain Borne et tant dâautres. Mais celui quâelle affectionne tout particulièrement câest Tom Simpson ce champion dégingandé (â¦) millésime 1967. Elle le regarde. Il vacille sous le cagnard. Les caméras de la télévision sâapprochent. On filme son agonie en direct. (â¦) Son histoire dâhomme en carafe va, on le sent, sâarrêter là. Au bord de la route. À deux kilomètres du sommet.

Par son écriture lâauteur fige le moment tragique où la mort intervient et brise le dernier souffle. Les phrases sont courtes, précises et certaines tout comme la mort. Les virgules ressemblent à des virages pris à sec. Ça bloque sous les pieds. Ça cogne. Ça hurle. Il entend des cris à droite. Puis le choc, la descente, le vol plané. Son corps, projeté en lâair, retombe lourdement. Il sent ses os qui craquent. Puis il ne sent plus rien.

Une fois la lecture terminée, il me vient en mémoire ces vers de Victor Hugo : « Adieu, dit cette voix qui dans notre âme pleure. »

Alexandre Ponsart


Extrait : « Elle apprécie les départs incognito, ceux que couvre la nuit noire, souvent par temps de chien, dans la pluie et le vent, sur des routes que personne, ou presque, nâemprunte. Il se peut quâun conducteur égaré, par miracle, sâen sorte. Lâhistoire quâil raconte alors aux buveurs accoudés dans lâun de ces bouges clandestins où on lâa laissé entrer, en découvrant, collée derrière la vitre, sa trogne effarée, est identique à celles que murmurent tous ceux qui lâont précédés, circulant de par le monde, en pilotage automatique, dans des territoires où les intersignes aiment tant semer le trouble. »


Jacques Josse, Au bout de la route, le Réalgar, 2015, 40 p., 8â¬.


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