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(Note de lecture), Ariane Dreyfus, Sophie ou la vie élastique, par Alexis Pelletier


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Posté 05 octobre 2020 - 09:05



Avec Sophie

6a00d8345238fe69e20263e96b63b1200b-100wiLes références Sophie ou la vie élastique dâAriane Dreyfus sont importantes. Et celles-ci sont pour ainsi toutes lisibles et données pour opérer à une ouverture du sens. Jamais, elles ne sont masquées.
Bien évidemment, câest dâabord lâimaginaire de la Comtesse de Ségur qui est convoqué. Avec principalement Sophie de Réan et son cousin Paul, mais aussi Mme de Réan, Mme Fichini, Mme de Fleurville, Camille, etc. Cependant Ariane Dreyfus précise en fin dâouvrage que le « livre nâexisterait pas sans le film de Christophe Honoré, Les Malheurs de Sophie » et que le titre de lâouvrage nâaurait pas été celui-ci « sans le bel article » (p.105) que Johan Faerber a consacré au film sur le site Diacritik. Et les références de ne pas sâarrêter là. Puisque régulièrement et dâune manière toujours précisée (pp.101-102), ce sont Cocteau, Colette, Sandro Penna, Guillevic, Vladimir Holan, Yosa Buson qui constituent lâarrière-pays de ce qui se donne à lire.
Et ce qui se donne à lire est un livre mouvant, qui permet au récit de toucher à ce qui agrandit le rapport à ce quâon peut le réel, câest-à-dire tout ce qui échappe aux mots.
Câest une grande constante dâAriane Dreyfus de passer par lâunivers des contes pour non pas les réécrire mais pour se les approprier et faire passer ce qui tremble en eux dans le poème. Câest peut-être dans ce sens quâil faut entendre lâépithète « élastique » du titre. Avec ce quâil dit de tension et de détente.
Sophie nâest pas seulement le rappel du personnage de la Comtesse de Ségur mais celle qui actualise â si ce verbe est possible â le regard sur le monde. Câest dâailleurs ce qui fait le chemin du premier poème « Sans crier » (pp.7-8). Il passe de « Jâhésite, je te regarde, chemin qui ouvre le parc / Tu es si pâle, » à « Jâhésite, je regarde » pour aboutir au « plaisir de courir sur le chemin crissant ! » Le regard entraîne le mouvement comme une vie plus forte.
On comprend alors que le dernier poème du livre, un vers disposé en stichomythie comme au théâtre, soit : « Je sais que jâai vécu         et que je vivrai encore » (p.101). Et bien sûr câest sans ponctuation que se lit ce départ du livre qui corrobore tout son sens de lâouvert. On se souvient dâailleurs quâAriane Dreyfus a écrit un livre qui magnifie cette ouverture et qui sâappelle La terre voudrait recommencer (Flammarion, 2010).
Evidemment, Sophie ou la vie élastique permet une plongée dans lâunivers de lâenfance, dans le rapport aux objets â la poupée, le globe terrestre â, aux animaux â chiens et chats â et plus largement à tout ce qui environne lâenfant.
Et, le récit conduit toujours à des interrogations, des béances voire des violences que le poème affronte.
Ainsi le poème « La belle décision » (pp.49-51) permet dâassister à lâenterrement de la poupée. Et si les enfants dâune certaine façon miment ce quâils voient des grands, cet enterrement, dans sa simplicité, dans sa légèreté fait toucher à la métamorphose de lâinstant. Paul et Sophie finissent par se lancer « De lâeau toute fraîche à la figure » et « Câest le moment de remonter / À reculons main dans la main // Très lentement car la journée ne reviendra pas ». Dans cet instant saisi, câest toute la force de la vie qui surgit.
Cette vision trouve , dâailleurs, son écho, vers la fin du livre, quand Sophie découvre, dans « Le dernier acte » (p.86-87), que « la petite barque de la mort [â¦] nâa pas navigué ». Et le rapport au temps de se préciser, avec des mots qui suspendent presque la lecture grâce, notamment, aux découpages des vers : « Ainsi la poupée aura passé lâhiver / Les yeux au ciel comme aux nuages / Aura passé le temps ».
Les récits de ces poèmes, sans cesse renouvellent cette sensation. Il y a une sorte dâinstantané qui surgit, qui se fixe dans la narration et devient poème. Câest aussi ce que nomme « Câest là » (p.71-73). Marguerite et Sophie ont découvert des bébés hérissons qui ont été noyés. Il faudrait sauver celui qui semble encore en vie. Mais « Sophie peu à peu / devient une pierre brûlante » et sa décision va être « Un grand bâton / Il faut lui enfoncer la tête pour quâil meure plus vite ».
Ce qui se dessine ici, dans un rythme très simple, ce nâest pas autre chose que lâurgence du rapport de la mort à la vie ou plus exactement la complexité de ce rapport. Il est comme offert par le poème et il saisit à la lecture.
Si lâon tient compte des références qui font lâarrière-pays de lâouvrage, on constate à quel point le rapport au mot est, dans Sophie ou la vie élastique à lâécoute toujours forte de ce que la nature offre. On peut ainsi mentionner le haiku de Yosa Buson (p.79) : « Un coup de hache / Lâodeur surprend / Arbres dâhiver ». Ainsi ce livre conduit si ce nâest à la liberté, du moins à une vie qui dépasse toutes les entraves que certains pouvoirs assènent.

Alexis Pelletier

Ariane Dreyfus, Sophie ou la vie élastique, Le Castor Astral, 2020, 112 p., 12â¬

Extrait
Le  dernier jour avant le premier

Ce nâest pas comme un livre qui se laisse ouvrir

Sophie tourne autour de la statue, une femme
Nue en train de recouvrir un immense vase
Couché lui aussi

Plus bas la fontaine
Se répand entre deux bouquets de fougère,
Surtout le bruit de lâeau qui rencontre lâeau

Comme noyées qui respirent et ressortent

Sophie regarde la source reprendre gorge, le ciel
Si on tourne autour de lui, il change,
Le beau visage de la femme immobile

Mais non ses genoux blottis lâun contre lâautre

Sâappuyant des deux mains sur la pierre
Sur la mousse collée à elle
Comme on fait sa demeure

Comme on fait quoi ?

Mufle posé sur ses pattes éternellement croisées
Il dort
Les yeux clos et les narines ouvertes dans lâombre

Sophie caresse lentement le lion gris et usé

Tu sais je vais partir loin de toi



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