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(Anthologie permanente) Hommage à Pierre Chappuis


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Posté 06 janvier 2021 - 10:23


Pierre Chappuis est mort ce 22 décembre 2020. Poezibao publie aujourdâhui un hommage écrit par Michel Collot et cette sélection de textes du poète et critique suisse dans lâanthologie permanente du site.

â Extrait de Muettes émergences, proses, Corti, 2011, pp. 73 et 74

II
Conques maintenant. Tout un pays à traverser, de montagnes, de plateaux, ravines, de solitude. Visite maintes fois envisagée, maintes fois différée. Enfin, ce jour-là, notre arrivée tardive (un éboule­ment dans la vallée du Dourdou ayant exigé un long détour jusqu'au moment de franchir le Lot), d'un souvenir durable, tout comme, si nette encore totalement aujourd'hui, la longue soirée autour de l'église, sur le parvis, dans les rues adjacentes presque déserts. Rendus à nous-mêmes en ce lieu, point d'accomplissement, point d'orgue. Toute la journée du lendemain en outre... Mémoire, chambre claire, cependant non : n'ayant nullement la froide exactitude d'un appareil permettant de reproduire une image trait pour trait sans risque d'erreur, mais, tout au contraire, source jaillissante. Au creux du village émerge, en toute majesté â au vrai, dans l'humble recueillement du couchant â l'église Sainte-Foy sévère et accueillante, ses fenêtres comme autant de paupières closes, sÅurs du ciel et du bleu des toits. Rien qui vienne troubler ce qui n'est ni sommeil ni rêve, mais clarté blottie dans le creux d'une conque (si le nom doit quelque chose à la configuration du lieu), comme eau lustrale dans le creux de la main.


Vitraux (cette fois de l'intérieur) comme les reflets d'une rivière verticale, confirmation a contrario de toute l'Åuvre les ayant précédés â"...malgré ou plutôt par ce noir...". La nuit, le jour. Aboutissement ? bien davantage ouverture à quoi aura mené, comme allant de soi, sans préméditation, une exploration que guidait de tableau en tableau (autant d'étapes datées), non "la matière physique de la surface, ni sa couleur, mais la lumière qui naît au cours du travail", venue de la matière elle-même. Partout (en nous tout aussi bien) se mêlent les remous d'une circulation fervente du jour, de long en large, de travée en travée, des bas-côtés à la nef, pour s'accorder avec la pierre elle-même. Voisinent, terre et ciel, s'apparient de nuance en nuance â changeants échos sonores â les ocres légers, les rouges, les teintes bleuâtres.

*

â Extraits de Éboulis et autres poèmes, Liasse, à lâImprimerie Quotidienne, 1984, pp. 77-79

Me reprend, mâexcepte

Me reprend

(lâarbre de nouveau happé)


Mâexcepte

(bandeau de soie sur mes yeux comme une aube)

Mouvant, mouvant, mâimmerge

/

Quelques branches, non loin, seul indice, reviennent


ManÅuvres, fuite au matin


Démarrages et redémarrages sans affolement sans hâte,
une troupe dût-elle, profitant du couvert, monter à lâassaut.

/

Surgissent, nets, des labours à traverser dans le désordre
des mottes tandis que, sans bruit, les montagnes remuent

sâéloignent, se fragmentent


Nul cri que celui, étouffé, du brouillard

*

â Extraits de Tracés dâincertitude, Corti, 2003, ces mots consacrés à Philippe Jaccottet, pp. 161-162 :

La semaison, juin 1975 : dans le silence d'une fin de nuit, le veilleur prend conscience qu'allumer une lampe, passer dans une pièce voisine ne le délivrerait nullement, qu'il restera pris (murs, nuit) jusqu'au lever du jour. Incroyable hésitation, pour le dire, entre deux images dont l'une (le mur repeint par l'aube) confirme, dont l'autre (porte, ouverture) nie l'idée d'enfermement. Elles ne s'opposent pas si jour et nuit ont même origine, si l'originel, l'insondable est l'obscurité, et la transparence, la belle lumière â du matin, d'octobre, de l'hiver â, une sorte d'obscurité à rebours ou, ce qui revient au même, l'ombre d'une autre lumière, éblouissante : "Le temps m'aidera seul à en sortir en peignant prudemment, peu à peu, le jour sur ses murs (et je n'en serai donc pas vraiment sorti) â mais cette image est plus pensée qu'éprouvée, car l'aube sera vraiment plutôt l'ouverture d'une porte dans ces murs â même si, réflexion faite, le jour est peint sur le noir de la nuit."
Devant nous, étonnant mélange des eaux qui devrait rassurer celui qui, de son propre aveu (aveu ou profession de foi) n'avance qu'en toute incertitude, l'image, première venue, et le commentaire semblent ne faire qu'un. L'extrême méfiance à l'endroit de l'une (seul véhicule pourtant aussi bien que de lâautre (auxiliaire trop loin du ressenti) porte à une vérité au-delà. "Réflexion faite" : seconde, la pensée, elle-même tâtonnant, rejoint lâexpérience originelle (ou estimée telle) dite par lâimage, en découvre la cohérence par un mouvement de retour, celui, lui aussi recréateur, de la retouche, non tant maîtrise quâapprofondissement.

*

â Extrait de A portée de la voix, Corti, 2002, p. 12

Un pas inégal

La bordure de lâombre suivie de ce côté-ci où le froid a creusé ses ornières, dâun pas inégal comme qui craindrait de se prendre dans les franges. presquâà portée de la main, le soleil, de lâautre côté, vient ébouriffer la lisière

là où, lèvres desserrées, nulle voix...

Entre deux, dans la clairière, la terre à nu est comme de la lumière aux éclats étouffés, grumeleuse à force de sécheresse, infranchissable.

*

â Extraits de Dans la lumière sourde de ce jardin, Corti, 2016, p. 26-28

Violoncelle seul

Futur, sâourle

Comme vague, chant, comme éclairs en débris

Comme un martèlement par moments proches de nous

âââââââââââ

Et gratte, et fouille, creuse, exhume.

Peut-être ici, rien. Peut-être, à force dâentêtement, dos courbé, quelques fragment dâurne ou de hanap enfin â

Voués à lâenfoui

Pelle, pioche raclent bruyamment un sol caillouteux, peinent à dégager un bloc de pierre.

âââââââââââ

Soudain, dans lâimmédiat, allant par les volutes et les sentes du vent, happés, heureux en dépit de la chute probable, avides de rejoindre les mouettes en vol autour de nous, libres comme lâair.

Se mêlent jusquâà la dissonance grincements et cris dâoiseaux, nos têtes encore pleines dâune ruissellement de terre, de graviers.

âââââââââââ

La nuit, brusquement.

Des bulles dâombre éclatent, se rassemblent, sâégaillent, maintiennent notre écoute tendue vers ce qui, à mesure, à démesure, nâa chance de se dévoiler quâà lâimproviste.

Nuit : stridences apaisées.


Violoncelle seul

âââââââââââ

Inévitablement, je parle dâautre chose.



pdBSPUZlmHE

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