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(Anthologie permanente) Hommage à Jude Stéfan


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Posté 13 janvier 2021 - 09:41


6a00d8345238fe69e2026bdeb55927200c-100wiEn écho à lâhommage proposé par Cyril Anton, cette sélection de textes quâil a faite dans lâÅuvre de Jude Stéfan.


Par désespoir de l'amour qui n'est
pas échu Par désespoir de la mort
qui déjà m'a prévu Par désespoir
du sexe qui nous fut à charge Par
désespoir de l'homme qui n'est que
misère Par désespoir du temps qui
n'est que poussière Par désespoir de
l'art qui n'a pas visité Par dés-
espoir de l'âme que l'on n'a pas
trouvée Par désespoir de soi qui
ne sut que honte Par dés-
espoir du suicide qui n'est qu'
alibi Par désespoir du monde
illusion Par désespoir où s'en-
fouir ? Dans l'étude par oubli
dans le stupre par malchance mais
dans la mer pour s'y laver

(Extrait de Cyprès, Gallimard, 1967)

*

Je te lègue inconnu avec mes vices
Ma vertu et mes ossements. Mes vices
pour désespérer de mourir vivant
furent lâennui la hargne et le rire
(dors donc enivre abêtis ta carcasse)
ma vertu un sourire de jeunesse
le culte des filles et ce crachat sur
lâhumain. Quant à mes os blancs quâils te prouvent que je ne fus comme tu nais
que chair animée voix émue dâorganes
telle que cri de chien se perdant au vent

(« Testament », extrait de Libères, Gallimard, 1970)

*

            1 ciseau, ciseaux â le rémouleur gagne-petit passe dans la rue des enfances -, ciseaux, couteauxâ¦
            2 scissors < scissus, caesus, coupé, coupez !
            3 ciseler : emprunter à soi-même ses extraits
            4 le censeur-poète coupe dans le texte tout ce qui serait faible, convenu, poétisable, tout le mauvais, tel le chirurgien
            5 couper le souffle en bout de vers, le râle en bout de vie
            6 couper court à toute effusion (ou « lyrisme »)
            7 la tourne & la coupe
            8 un style coupant plutôt que coupé
            9 affiler lâancien vers
            10 ciseler la matière brute du langage, mais dans « lâart contre lâart »
            11 ainsi tel poème dans sa verticalité pourra ressembler à une caresse pendue à un croc de boucherie après dépeçage
           12 lâancienne coupe : un repos ménagé entre les mots ; la nouvelle : une accélération des images, un chevauchement des pensées neuronales
            13 lâenjambement entraîne alors la coupe à lâintérieur même du mot, comme pour précipiter au vers suivant, en produisant soit un effet physique de mouvement ou geste, soit mental de sensation, par saut, trébuchement jamais gratuits â non pour laisser attendre une pensée grandiose comme dans la poésie épique latine, mais pour en aplanir en la prose dâun discours suivi â prorsurm ! En avant quand même !
            14 dâoù les prosopées, des proses de paroles versifiées
            15 ce rejet, câest aussi le rejet de la convention inscrit dans la pratique même de contradiction (le dire ci-contre)
           16 cet enjambement, câest aussi lâenjambement à travers les siècles, ressauter en arrière vers Scève ou Jodelle, en avant vers lâInédit, contre tout historisme linéaire ou messianique
            17 cut-up de Burroughs, « Effacements » de Vachey : « (jamais compris le mot être) », « découpages » de Reznikoff, aussi bien que trous de Fontana dans la toile, tmèses de Dotremont ou affiches de Villeglé â tout cela dans le second demi-siècle (la guerre intérieure après la guerre armée) fut donc guidé par la main même dâAtropos lâinflexible, lâindétrônable, animant celle de lâartiste condamné de naissance à Åuvrer en une sorte de vengeance : montrer, dire, revendiquer (*deik) à lâaide de gestes son sort fatidique.

(« Le Ciseau dâAtropos », Revue de littérature générale 96-2, POL, 1996)

*

â¦je sens je sens geler
Mon cÅur, mes sensâ¦
                                 JODELLE

           Même il mâest quelquefois arrivé de manger
Le berger
     LA FONTAINE

Dès lors je me suis baigné dans le poème
De la mer
                                             RIMBAUD

â¦par lâescalier
Dérobé
                                  HUGO

Mais tout nâest pas détruit et vous en laissez vivre
Un
                                                              RACINE

Ast ego quae Divium incedo Regina Jovisque
Et sonor et coniux
                                                      VIRGILE

Et mediis properas Aquilonibus ire per altum
Cruedelis !
                                                     VIRGILE

Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte
                                           LAMARTINE

Le feu dans la cheminée où nichent les hi
Boux
                                               J. RISTAT

Qui me rendrait aveugle quand jâ
Ecris ?
                                D. ROCHE

Nuestras vitas son los rios
Que van a dar en lar mar
                  MANRIQUE

Forse perchè delle fatal quïete
Tu sei lâimmago, a ma si cara vieni,
O sera !
                                   FOSCOLO

La notte, che tu vedi in si dolci atti
Dormire
                                    STROZZI

(« Le Ciseau dâAtropos », Revue de littérature générale 96-2, POL, 1996)

choix de Cyril Anton





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