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(Note de lecture), Cécile Guivarch, C'est tout pour aujourd'hui, par Stéphane Lambion


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Posté 26 février 2021 - 10:25

 


6a00d8345238fe69e2027880180732200d-100wiLes linges suspendus, quelque part au jardin ou à vos fenêtres.
Vous viviez à vous saluer dâun bout à lâautre,
écrire les vies qui passaient, les bonjours, je pense à toi.
Vous envoyiez des mots que vous ne saviez pas poèmes,
ce nâétait parfois rien, pas des rimes, dire en peu de mots.
Prendre soin de les aligner dans la couleur des jours.

Ce texte de la page vingt-huit, Cécile Guivarch le sait poème, puisque le projet de Câest tout pour aujourdâhui est précisément de transformer en poésie tout un ensemble de lettres et de cartes postales du vingtième siècle confiées par des proches. Câest donc un projet de mémoire â presque une sorte dâarchivisme poétique, tant est minutieuse lâattention portée par lâautrice aux documents qui ont été mis en sa possession.

Sont dâailleurs égrenées en caractères italiques, au fil du livre, des transcriptions de ces correspondances qui font contrepoint aux poèmes. Câest là un procédé qui correspond tout à fait au double projet de Cécile Guivarch : dâun côté, elle cherche à mettre en lumière â à dépoussiérer, littéralement â des voix dâantan, tandis que de lâautre côté, elle tente de jeter un pont entre ces voix et les nôtres, nos voix contemporaines. La structure du livre le montre bien : une courte première partie sâintitule « De vous à moi », suivie de la partie centrale qui a pour titre « Vous », pour se clore enfin sur ce qui a presque une allure dâépilogue : « Câest nous, aujourdâhui ».

Souvent quotidiens, les écrits des vies minuscules sur lesquelles Cécile Guivarch se penche portent en eux une forme de tranquillité et de calme si puissante quâelle en rayonne ; le travail dâécriture de la poète fait écho à cette simplicité et donne lâimpression de nâêtre quâun simple miroir où les mots auraient été décantés par le filtre du temps et de la sensibilité de la poète. Si certains fragments sâancrent dans des contextes historiques nettement définis (comme ceux des pages soixante et soixante-et-un qui évoquent directement la guerre), la plupart restent assez flottants dâun point de vue temporel : ce qui semble intéresser la poète, ce sont davantage les traces du passé, le halo de lumière dont sont entourés les lettres et les cartes postales qui constituent son matériau dâécriture.

Cependant, il est impossible de rester neutre face à la prise de conscience du passage du temps : dès lors, en même temps que Cécile Guivarch redonne leur éclat aux traces de lumière qui traversent les écrits qui lui ont été confiés, elle questionne lâintemporalité de lâéchange humain â on lit par exemple, à la page soixante-neuf, ce très court poème :

Mais peut-être que les mots dâautrefois
sont toujours les mêmes quâaujourdâhui.

Cela me fait plaisir de vous savoir en bonne santé.

Autrement dit, la recherche de Cécile Guivarch ne se cantonne pas au dépoussiérage des traces de lumière quâelle trouve dans son matériau, mais elle se poursuit par une interrogation sur, disons, les traces de ces traces, câest-à-dire sur ce quâil en reste aujourdâhui â comme dans ce poème de la page trente-et-un où la poète sâadresse directement à celles et ceux sur qui elle écrit :

Vous nâaviez besoin de rien pour écrire.
Lâencre coulait sur le dos de la carte.
Simplement la santé est bonne.
Le printemps reviendra, il revient chaque année.
Vous revenez aussi, dâun siècle à lâautre où lâon sâécrit.
Entre hier et aujourdâhui, cela ne fait pas tant de temps.

Câest bien ce qui ressort de la lecture de Câest tout pour aujourdâhui : si la poète écrit à la page dix-neuf : « Il y a tant dâespace entre vous et moi que jâécris dans la marge », câest une sensation qui sâatténue au fil des textes, pour finalement faire comprendre quâécrire dans la marge nâest pas nécessairement le signe dâune distance, mais au contraire dâune continuité qui se révèle aussi bien dans les actions les plus simples (mettre les mains près du feu, dire bonjour au voisin) que dans les sentiments les plus forts â comme à la page cinquante-et-un :

Je vous imagine, Gabrielle,
belle de vos tissus de dentelles,
vos rubans au chapeau
et vos sourires en pensant à lui.
Vous étiez deux amoureux dâun autre temps,
cela fait plus de cent ans.
Votre amour dure toujours,
les plantes ont poussé,
le lierre vous a resserrés,
vous êtes pour longtemps
sous mes doigts.

Stéphane Lambion

Cécile Guivarch, Câest tout pour aujourdâhui, La tête à lâenvers, 2021, 82 p., 16â¬



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