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(Note de lecture), Louise Glück, L'iris sauvage, par Camille Loivier


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Posté 21 avril 2021 - 09:30



6a00d8345238fe69e20263e99f9a95200b-100wiLouise Glück, poétesse américaine, était quasiment inconnue jusquâà sa nomination au prix Nobel, comme les plantes auxquelles ce recueil est consacré. On ne les connaissait pas et soudain elles apparaissent dans la lumière de leur future mais proche extinction. Ce sont bien les plantes, fleurs, graminées, herbacées, qui nous regardent depuis les poèmes, nous définissent en tant quâhumains, êtres qui paraissent bien moins vivants quâelles, à force de vouloir se désincarner, de purs esprits comme on pourrait nous appeler. Ce recueil pose donc sur ce nous un regard critique. Lâhumain est tombé de son piédestal et se retrouve dans le box des accusés :

« Mais tu sais ça,
Toi et les autres qui pensez
Vivre pour la vérité, et par conséquent, aimez
Tout ce qui est froid »
(Lamium, p. 33)

Pourtant ce lamium qui sâexprime, se considère lui-même comme un « cÅur froid ». Sâagit-il ici de faire parler les plantes, de toujours imaginer une fleur qui parle comme un être humain, nâest-ce pas plutôt rester prisonnier du dualisme que de penser ainsi ? Nous sommes en zone dâindiscernabilité, dâhybridation, mi-fleur, mi-humain, le langage et la langue (lâun et lâautre se dit ou se disent) nâest plus suffisant pour partager. Il semble quâen ces lignes, existe une tentative de vouloir comprendre mutuelle, en tous les cas des rapprochements de part et dâautre, même si la question reste posée, de lâesprit, de lââme, et que lâon frise une spiritualité qui se perd dans lâéther, cependant que lâon retombe aussitôt sur ses pieds.

le grand avantage
est de ne pas avoir
dâesprit. Des sentiments ?
(â¦) Oh, mes frères et sÅurs,
avez-vous un jour été comme moi, il y a longtemps
avant que vous ne soyez humains ? Vous êtes-
vous permis
de vous ouvrir une fois seulement, vous qui ne
vous ouvrirez jamais plus ? Car en vérité,
je parle là
de la même façon que vous. Câest parce que
je suis détruit que
je parle.
(Le coquelicot rouge, p. 81)

Dans ce livre, sâil y a bien opposition entre le monde végétal et le monde animal (humain, donc) la ligne de démarcation flotte, sâeffiloche, finit par se briser. Le conflit tourne à lâavantage des plantes. Les marguerites nous regardent avec une ironie sans concession (au point que lâon se moque avec elle oubliant que câest de soi).

Vas-y : dis ce que tu penses. Le jardin
nâest pas le monde réel. Les machines
sont le monde réel. Dis honnêtement ce que nâimporte quel
            idiot
pourrait lire sur ton visage : nous éviter
résister à la nostalgie
a du sens.
(â¦)
Câest très émouvant,
tout de même, te voir tâapprocher
prudemment de la bordure de la prairie au petit matin,
lorsque personne ne peut
te voir. Plus tu restes au bord,
plus tu sembles angoissé.
(Marguerites, p. 101)

La marguerite va au fond des pensées, elle voit le ridicule de lâhumain, autant dire de lâhomme. Car au fond, ici, il ne sâagit pas de poésie bucolique, pastorale, botanique, les narrations spéculatives que tricotent les écoféministes américaines ne sont pas loin, même si on ne veut pas voir quâil existe bien dâautres manières de penser, rêver, mettre en poème la relation triste, ambigüe, émouvante des relations avec ce que lâon appellera pour Louise Glück, le biotope, afin de dissocier la poésie de la nature.
Large, simple, claire, en rebonds et en glissades, effronteries, surprises (comme elle les aime) la poésie de Louise Glück, en anglais comme en français, dans la juste traduction de Marie Olivier, et dans la page mettant en regard les deux versants, souligne lâintelligence des plantes, leur acuité, leur liberté, tout en livrant un rapport réconcilié au monde. Tendresse, humour, mais aussi profondeur, celle-ci, dans son investigation, nâintervient que de biais, elle est glissante, furtive, elle attend que le lecteur fasse la moitié du chemin, comme dans toute sagesse orientale.

(â¦) âjâai honte
à lâidée dâavoir pensé que tu étais
loin de nous, que tu nous considérais
comme une expérience : câest
une chose cruelle et triste que dâêtre
lâanimal superflu
une chose terrible.
(â¦)      
Pour toujours et pour moi,
le plus grand des plaisirs est la surprise.
(Matines, p. 85)

Son second livre traduit en français Nuit de foi et de vertu, nous donnera un autre regard tout aussi généreux et libre sur sa poésie.

Camille Loivier,  

Louise Glück, lâIris sauvage, Gallimard, 2021, 160p., 17â¬


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