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(Note de lecture), Isabelle Lévesque, En découdre, par Philippe Fumery


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Posté 30 avril 2021 - 08:50


6a00d8345238fe69e202788026b9db200d-100wiLe recueil dâIsabelle Lévesque déroule un flot dâimages qui semblent parler dans un rêve, du moins aux abords de la nuit, cette nuit « dépossédée ». Pour avancer dans ce théâtre dâombres, le lecteur peut chercher à se repérer, posant le regard sur de rares lueurs ou tendant les mains vers une source de chaleur ; et tout autant se laisser perdre, cédant à une attraction dâun autre ordre : « Il faut allumer les traces / pour le brasier silencieux », 13.
Isabelle Lévesque déploie son univers magique, bienveillant : « Des images nous égarent / nous retournons vers la feuille / son bruissement », 32.

Alors il est question de braises, sur lesquelles se posent nos pieds ; de cendres où se trame la suite de nos mots, quâ« Il faut dâun bâton / tracer au plus vite », 12. Il a fallu en passer par le feu, le brasier, le flambeau. Question de vie ou de survie : brûler nos meurtrissures pour les cautériser, guérir le feu par le feu : « Nous faisons corps / en ce flambeau », 9.
Quelquâun sây est brûlé : « Il nous faut brûler », 29. Seule certitude, celle du prix à payer. Cela sâest passé après la lutte, ou lâétreinte ; il a fallu batailler, tirer lâépée du fourreau. « Lâarme est levée », 27.

Cet engagement réclame deux êtres, et quâils doivent en découdre ; le chiffre deux nâen est pas moins magique : « À deux nous sommes », 18. Il arrive quâil soit réduit à un, un « moins un » accidentel : « Il manque un signe au ciel », vers proféré trois fois, 23.
Trois lettres pour « toi ». Quelle est donc cette « loi du plus fort » ? 23. « Toi blessé », 29.
Lâissue est incertaine, le toi est aussi le tu, ce qui ôte une part de vie comme ce qui est passé sous silence, comme un prénom. Nous ne tenons en main que « la mèche mortelle de notre vie », 22.

Le feu et le fer se mesurent, le premier plus fort que lâépée : « comme un feu résistant aux armes », 33. Et même si celles-ci naissent au cÅur dâun brasier attisé.
Cela a voir avec le poème, le tissé. Câest « le même métier de braise », dont lâune des premières tâches consiste à démêler, à « libérer » : « Plume ou lâépée », 21 ; « ni la lune ni lâépée », 26. « Il faudra bien séparer / la nuit & le jour / en découdre », 26. « Elle ne touche ni le ciel ni la terre », 56.
Le poème, le feu, lâépée, nés du silence ou dâun cri isolé, retournent au silence ou au cri et se perdent : « Jâavais ce qui perce, âiâ du cri », 28. « À brûler sâoccupe la flamme du silence », 33.

La vie se déroule dans ce flot dâimages, mais elle emprunte un fil tendu et fragile, nous laissant avancer comme au-dessus dâun vide, sur « la ligne fatale », 22 ; un fil qui nous dit à chaque pas combien le temps nous est compté : « Blanc le fil de givre / qui fond », 46. « Nous nous sommes accrochés au fil du temps », 52.
Quoi quâil en coûte, notre chance est elle-aussi accrochée avec nos « Questions au bout dâune corde sans fin : tout / sâéloigne ou rejoint, on ne sait pourquoi le début / et la fin se fondent » 56.

Alors il nous faut recommencer : « Chaque année, penchée, je recommence », 42. Câest bien davantage le renouveau qui arrive, sâimpose, toujours, partout. « Demain départ », 25. « Jâaurai matin », 35. « Nous célébrerons demain », 45. Lâarbre en témoigne : « Écorce. Le bouleau perd sa peau / lentement. Recoudre. Neuve la sève / par la veine acheminée », 43.
« Nous préparons un nouveau monde », 36. Le renouveau reprend les choses, les répare.

Le recueil brasse les images et les mots surprennent, ravissent. Le lecteur peut encore choisir de se fier à certains poèmes très courts, enchâssés dans lâensemble â parfois isolés sur une page ou rassemblés pour en former une autre. Ils sont une feuille fichée sur le bois dâune porte par la pointe dâune épée ; à moins quâils ne soient flambeaux fixés au mur dâun couloir où nous avançons. Car ceux-là resplendissent, plus rouges au cÅur des braises : « Un coquelicot prépare en douce / sa percée. À le veiller je mets / en terre le silence », 57.

Isabelle Lévesque, pour nous, « invente une fin silencieuse » à son recueil », 44.

Isabelle Lévesque, En découdre, LâHerbe qui Tremble, avril 2021, 70 pages, 14â¬

Philippe Fumery 

Extrait, pages 16 à 18 :

Je chuchote.

(Te faire croire que
la caresse porte
le poème.)

Je ne savais écrire. Avant lâhiver
tu pris ma forme,
douloureux pochoir de branches,
tes mains ou les feuilles,
indissociées,
voulaient un ordre écrit.

Exécuter le chant :
je ne saurais taire
flamme et le cri
â même métier de braise â
le tissé
libéré des cendres.

Câest le poème.

En rangs serrés. Proférer.
À deux nous sommes.
Jâai bien creusé, dérive feinte.

Jâai laissé, glace ou la feuille,
des vertiges plus noirs.




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