Aller au contenu

Photo

(Note de lecture), Yves Namur, dis-moi quelque chose, par Christian Travaux


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 03 mai 2021 - 08:58


6a00d8345238fe69e20263e9a20e0f200b-100wiUne même forme, cent fois répétée. Cent quinze fois, exactement. Des sizains toujours découpés en distique, tercet, monostiche. Une forme qui sâest imposée à Yves Namur, comme la scansion musicale du décasyllabe, à Valéry, pour lâécriture du « Cimetière marin » de Charmes. Mais une forme qui nâest pas contrainte, qui est née de lâinjonction « Dis-moi quelque chose », susurrée à son oreille incidemment, sans quâon sache à qui lâon parle, qui lâon demande, ce que lâon veut. Quelque chose. Tout est dans ce mot, cette attente interminable, et cet espoir.
Et cette demande.

Yves Namur, dans ce nouveau livre, sâessaie à la forme imposée, et à lâinjonction répétée, pour tenter dâapprocher peut-être ce que, nous tous, nous espérons, nous questionnons, quand nous écrivons quelque chose. Poésie, que me veux-tu ? Pourquoi donc me fais-tu écrire ? Ou es-tu cachée quelque part, dissimulée parmi les mots que je me prononce à moi-même, quand je parle et que nul nâentend ? Dis quelque chose. Dis-moi quelque chose, poésie. Ne me laisse pas. Ne mâabandonne pas, ainsi, seul, au bord de mes questions, de mes inquiétudes, mes angoisses, sans savoir ce qui sera, sans savoir même si tu viendras, si tu es là. Yves Namur dit, et quelque chose sâouvre ici, sâouvre un peu peut-être de ce qui fonde le questionnement métaphysique de tout poète, de tout homme, de tout être humain, dans lâattente, perpétuellement, dâun mot qui aiderait à vivre, dâun propos qui soulagerait, dâune parole qui apaiserait. Qui ferait naître fleurs et nuages, pluie et beau temps. Etoiles et lune.

A chaque injonction ressassée, naissent ainsi, paraissent et passent, disparaissent, les choses dâun monde quâon ne peut quâespérer entrevoir. Un monde fait dâombres, de lumière, de vide, et dâespoir. Un monde autre, où tout fait silence un moment (le temps quâon regarde), avant que ne sâeffondrent la nuit, notre vie, la terre où nous sommes, et la tentative de comprendre quelque chose à ce que nous vivons. Pour dire cela, cette attente, cet espoir fragile (et cette inquiétude aussi de ne pas avoir de réponse, jamais, de ne pas plus savoir finalement quâau début du jour), Yves Namur fait choix de classer, dâorganiser, ce quâil nomme lui-même des « brèves », suivant les saisons, ou le cycle du temps qui passe. Cela commence avec « lâautomne », puis vient « lâhiver », et le « printemps », et « lâété », auquel il ajoute une « coda », en clôture du livre.

Tout sâefface, passe et sâenfuit, semble-t-il dire dans cette suite. Ou, du moins, le suggère-t-il. Car Yves Namur ne cherche pas, ni à dire, ni à expliquer. Surtout pas à expliquer. « La poésie moderne », disait Max Jacob, « saute toutes les explications ». Ainsi fait Namur, dans ce livre où tout dit ce quâon ne peut dire, où tout suggère ce quâon pressent, quâon devine (comme Char, déjà, faisait « lâéloge dâune soupçonnée »), sans le dire ou sans le décrire, ni lâexpliquer. Simplement sentir la présence de quelque chose qui nous dépasse, qui nous fuit toujours, et nous fait espérer que quelque chose dâautre existe dans les feuilles de lâautomne que lâautomne, dans les nuages blancs de lâhiver autre que lâhiver, dans les floraisons du printemps, ou les pluies, ou les nuits plus belles de lâété, que lâété seulement, ou le printemps uniquement. Une parole, un mot bien plutôt, qui nous soulagerait de vivre, ou ferait nos chagrins plus doux, nos larmes un peu plus acceptables, et le jour plus dansant peut-être, chantant peut-être.

Seule, sans doute, la poésie (paraît dire, alors, Yves Namur, dans cet ouvrage qui ambitionne de faire naître la poésie par une prière réitérée comme un mantra) est à même de nous sauver de cette destruction programmée quâon devine, sitôt les deux vers du début lancés, ou risqués. Les tercets qui suivent sont abîme, inquiétude, gouffre, effondrement. Menace cachée, monde obscur. Et seule la coda de chaque texte, le monostiche qui conclut, permet de sauver, de tenir en équilibre, sans plus tomber, sur cette corde légère du vivre, le pas risqué. Vivre ainsi est notre existence. Tenir de justesse, et manquer, à tout moment presque, de choir, de tomber, glisser dans lâabîme. La parole seule, la parole poétique peut nous aider.

Ainsi Yves Namur cherche-t-il ce mot qui sauve et qui « réveille la ruche obscure » (p. 85), ce « quelque chose » qui est « de lâordre du peu », « du simple », « de lâinvisible » (p. 60), écrit-il, cette « phrase légère » (p. 70), qui nâest faite « dâaucune pensée » (p. 38), mais qui peut « ouvrir / Le silence » (p. 80), et affronter « le vide », « hélas / Toujours du vide » (p. 55). La parole poétique le peut. Comme une « parole de lâéveil » (p. 88), dit Yves Namur, mais par laquelle on trouverait paix, silence, et soulagement, à nos peines, à notre détresse. Peut-on approcher de ce rien qui est là, qui est quelque part, autour de nous, en nous peut-être ? Câest le pari que fait Namur, dans ce vÅu adressé aux ombres, et qui est cent fois répété.

Cent quinze fois, exactement.

Christian Travaux

Yves Namur, dis-moi quelque chose, Arfuyen, 2021, 156 pages, 14â¬.
 

Extraits (p. 60 et p. 95) :

47

Dis-moi quelque chose
Quâemportent avec eux les agonisants

Quelque chose quâon imagine
De lâordre du peu du simple
Ou de lâinvisible

Mais quelque chose qui éclaire

|||

79

Dis-moi quelque chose
Qui me permette de donner un nom

A lâarbre à la maison vide
A lâoiseau aux passants dâun jour
Aux prairies encore vertes

A lâinconnu




lxZjgMJje_o

Voir l'article complet