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(Note de lecture), Geoffrey Squires, XXI Poèmes, par Antoine Bertot


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Posté 19 mai 2021 - 08:47

 


6a00d8345238fe69e20278802a82ab200d-100wiParfois, la première page d'un recueil nous retient plus longtemps qu'à l'ordinaire, parce qu'on y entend quelque chose d'essentiel qui ne se livre pas, qui, tout évident que cela soit, reste discret. Cela nous touche, sans qu'on puisse reconnaître ou nommer précisément ce lieu de l'émotion dans les lignes du poème ou en nous. Autrement dit, aucune belle formule ne s'impose (et cela, d'ailleurs, serait aveuglant et trompeur) et, s'il y a écho avec notre vie, la profondeur est telle qu'elle demeure insondable. Seulement, dans cette première page, une écriture se définit tout en nuances et si l'on regarde dehors, c'est que ce poème nous ramène déjà en plein dans le monde et nous rappelle au trouble du regard qu'on pose sur lui. Ainsi, le premier des XXI Poèmes de Geoffrey Squires, aux Éditions Unes, qui poursuivent depuis 2013, grâce à la traduction de François Heusbourg, la publication des Åuvres du poète irlandais :

            « Forts chants d'oiseaux, nous sommes assourdis
            par chaque craquement de feuille morte sous le pied

            dans les arbres tout est silence et feuilles tombantes
            errant une à une vers le sol
            avec un faible souffle d'air »

La trame du poème est faite de tensions : le volume sonore du paysage forestier (« Forts chants d'oiseaux », « craquement de feuille morte ») a pour contrepoint son murmure (« nous sommes assourdis », « tout est silence », « un faible souffle d'air ») ; la multitude des oiseaux et la singularité de chaque feuille sont englobées par un silence massif ; la légèreté des « feuilles tombantes » s'oppose au poids de ceux qui les piétinent, comme l'attention aux hauteurs mène, par un mouvement fluide, jusqu'au sol. La vivacité et l'intensité des chants d'oiseaux, enfin, n'empêche pas, et même semble conduire à une écoute du plus infime : le détail des feuilles écrasées arrive au premier plan de l'écoute et s'évanouit pour laisser entendre, de manière plus précise, ce « faible souffle d'air ». Ce n'est pas grand chose ; cependant tout s'inverse, se lie et se délie, entre simplicité et opacité
La perception du paysage forestier et maritime alterne en effet dans les XXI Poèmes entre l'acuité à ce qui est le plus subtil et précaire (« Un homme court à travers bois / [â¦] le son de ses foulées sur l'herbe sèche / son souffle envoie des bouffées de vapeur »), la sensation de se perdre dans le fourmillement absurde du monde (« Refus par ce paysage d'un sens quelconque / de totalité, brisé comme il l'est / par des groupes d'arbres, petites bosquets, / bois, et d'innombrables collines basses / [â¦] détails, lieux distincts ») et, à l'inverse, par instants, l'impression de saisir cette « totalité » :

            « Et puis un jour c'était si calme
            la campagne entière était si calme
            pas une feuille qui ne s'agitait
            pas un son pas un souffle de vent
            comme si toutes choses faisaient corps »

Ceci dit, l'unité du monde est aussi sereine qu'elle est étouffante et la perception du singulier est aussi frustrante que suffisante (« Bras blanc d'un pommier / qui vient comme un animal céleste / frotter contre ma fenêtre / une longue branche de fleurs / appuyée contre le verre transparent »). Les poèmes de Geoffrey Squires ne cessent de passer des frontières invisibles et de s'y heurter : ainsi de « cette clarté surnaturelle / si réelle qu'elle en est irréelle ». Ou encore, de ce paysage qui fait face (« Nous nous retrouvons devant / un ravin raide qu'il nous faut descendre ») et qui finit par accueillir les corps qui le traversent (« et installer le camp pour la nuit, / cuisinant près du ruisseau, lavant / nos assiettes dedans, nous endormant / dans son bruit »). Être « devant » le monde, « près » de lui, « dans son bruit », c'est finalement cette approche incessante, désirante et inquiète qui donne aux poèmes leur respiration.

Antoine Bertot

Geoffrey Squires, XXI Poèmes, traduit de l'anglais (Irlande) par François Heusbourg, Éditions Unes,  2021, 49 p., 15â¬



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