En trois temps, David Mus, auteur de nombreux ouvrages aussi bien de critique que de littérature (1), propose ici un nouveau livre de poésie.
Le premier des trois textes justifie son titre, Contre-pieds, par le fait de se présenter en deux colonnes qui dialoguent entre elles : celle de gauche est constituée par une suite de distiques répartie en six parties indiquées en italique â dont quatre marches, la dernière sâintitulant monter encore â et lâon comprend donc dâemblée que lâauteur renvoie surtout au sens du mot pied comme partie du corps ; celle de droite est faite de brèves parenthèses qui viennent régulièrement commenter la première série et que lâon peut légitimement considérer comme les « contre-pieds ». Ces parenthèses commencent toutes par une majuscule et se finissent par un point, comme pour les clore encore davantage sur elles-mêmes, tandis que les distiques sâenchaînent les uns après les autres, parfois sans respecter forcément ni les groupes syntaxiques ni même lâintégralité des mots : « lâaller et lâen / revenir » ; « chaque pied à / chaque pas », « in- / soupçonné » Comme précisé supra, il sâagit de déplacements pédestres dans des lieux clairement identifiés, en Bourgogne (où lâauteur vit la plupart du temps), en Suisse et en Italie. Au fil de ces promenades, il est tout autant question des éléments naturels (paysages, flore et faune) que des édifices (par exemple, les basiliques romaines de San Giovanni Laterano et de San Clemente) ou de réflexions sur lâécriture, le rythme étant notamment un point commun à la marche et au texte car le passant « doit perdre pied // sur le sol meuble, son support / glissant provoque // les embardées de la parole / qui sursaute » De plus, David Mus évoque les effets du temps sur un piéton tenace mais vieillissant, souvent non sans humour (« Pépère grimpe en station pénible / une volée // quâemprunte la marche marche / après marche »), même sâil pressent la chute finale à venir et ce dans tous les sens : « lâacte musculeux de la langue / qui parfois cale // ou bégaie, tombant court et / tombe, tout court... »
Le titre du deuxième ensemble, De lâair en vers peut se lire comme signifiant « à propos de » lâélément physique qui nous entoure où que nous soyons et que lâauteur associe, dans le texte placé en 4e de couverture, à cet espace irréductiblement situé « entre lâexpérience des choses et la parole qui les nomme », et rendu particulièrement sensible par le biais de lâécriture. On retrouve à nouveau des distiques mais, cette fois-ci, disposés en diagonale sur la page, en réplique à des structures dont il est question : « marches de lâair », « dans lâescalier », « échelle de Jacob ». Là encore, David Mus entremêle subtilement le sérieux (citant notamment la Bible et Pascal) et lâhumour qui, comme il se doit, nâexclut pas la gravité (à entendre dans toutes les acceptions du mot) de notre condition dâêtres aussi pensants que pesants :
les bras chargés dâair,
des prophéties
concernant la Grâce
quâon ne peut
mériter, ça te tombera
dessus aérien
sans crier gare à la casse,
tu trépigneras
Quant à la troisième partie du livre, intitulée La couleur de tes yeux, elle offre un usage différent de la page avec trois textes faits de blocs dâun à cinq vers brefs qui sont alternativement disposés de chaque côté de la page, contribuant ainsi à une mise en mouvement, comme si lâon allait dâun Åil à lâautre. Une fois de plus, lâauteur y entrelace des notations sensorielles â qui, ici, ont essentiellement trait à ce qui peut se voir ou pas : « lâinvisible des couleurs qui / ne se livrent quâaux yeux / ouverts à lâinvisible autant / quâau vert de la vallée en face » â à des réflexions dâordre à la fois existentiel â où la figure de la femme aimée depuis longtemps est récurrente : « vue sur lâautre où gît un jour / la chance dâune entente engagée / en permanence provisoire. » â et littéraire, faisant référence aussi bien à Sophocle quâau roi Artus, Charles dâOrléans ou Yves Bonnefoy, entre autres. En outre, David Mus, oscillant de la sécheresse des yeux à celle de la terre, parvient à associer ce qui relève de la sphère intime à un destin collectif qui, hélas, vire à la catastrophe : « La canicule du dernier été / aura gelé les couleurs qui / nâéchangeront plus avec nous » Il faut souligner lâouverture lexicale, pas si fréquente en poésie, qui va du « fourvoiement » et de la « sarcopénie » jusquâà « France Inter » et « saucisson sec ».
Notons enfin que ces poèmes sont accompagnés de six dessins réalisés par Thierry Le Saëc (2), dessins qui évoquent en noir et blanc des fragments de paysages transfigurés avec une minutie qui rejoint celle de lâauteur : « (Ainsi à chaque pas câest / la pierre sous le pied qui / met en mouvement le mot, le mot de lâattente.) »
Bruno Fern
David Mus, De l'air en vers, dessins de Thierry Le Saëc, Julien Nègre Éditeur, mars 2021, 56 pages, 12 â¬
1 Cf. (note de lecture) David Mus, "Dehors plutôt quâailleurs", par Bruno Fern (Poezibao)
2 Artiste qui publie par ailleurs une suite de 50 dessins réalisés pareillement, aux éditions de la Canopée, janvier 2021.
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