Le dernier livre de Paola Pigani est fait dâosier, dâivoire un peu, de liquide vaisselle, dâherbe jaune, dâhuile dâolive ou de moteur. Il a paru en début dâannée 2021 aux éditions la Boucherie littéraire, qui avaient déjà laissé place à un livre grand format vert et plein de sang, intitulé La renouée aux oiseaux.
Cette fois-ci, la collection Sur le billot accueille La chaise de Van Gogh. Câest un petit livre tout blanc, râpeux, dâune centaine de pages, petit tas de papier ivoire sans numéro de page, mais au contenu odorant, jamais subtil. Câest un magnifique petit bréviaire de deuil, coupé à la hache, qui sent la terre et dâune franchise terrible.
Sous la forme dâune longue suite de poèmes-vignettes en trois parties, avançant page par page, il y a un homme dans un hangar, un atelier, une famille, une langue aussi. Il y a lâItalie du père, lâété brûlant, « lâété qui sent la bière au litre », et le souvenir vivant de la petite fille dans les lieux ruraux maintenant déserts. Le texte est fait de constats, dâimages, comme un déménagement : on y voit des objets de tous les jours, des tables en bois, de la rouille, « sable noir, poussières et limailles », des photos, un patois italien, des dates, des portefeuilles, des dîners de famille, des instruments de labour, et le travail surtout. Il y a la sueur au front, le travail encore, les verbes grossiers, les rires de celui qui tape, répare, ratisse et transpire, le père magicien qui sait « changer le cuivre en terre ».
Il y a dans ces pages des verbes : une présence qui sâobstine à vivre, des habitudes qui perdurent. Paola Pigani rend un hommage sublime à la terre des pères et des filles, à lâatelier noir de suie, aux origines, et surtout à la vieille chaise et les moteurs, qui sont le constat dâun mort, dâun mort qui rechigne à partir.
Presque tous ses poèmes, qui dépassent rarement dix lignes, commencent avec un vers en gras, comme une ligne à dire à voix haute, avant de se mettre à marmonner. La voix qui parle est simple, posée, parle au présent, avec des phrases courtes. Elle décrit des images, des souvenirs, des habitudes. La voix porte un ton solennel, qui rappelle à certains égards une prière, un calme. Parfois, il y a des phrases en frioulan, un français simple qui balbutie. Grâce à la voix, tout redevient vivant, tout se réchauffe, le père est encore là, dans une langue qui se mord la langue, dans une bouche sèche qui porte avec fidélité sa parole franche et rurale.
Paola Pigani nous offre un moment de lecture calme, lèvres pincées, toujours très fort, avec les mots qui tombent juste. Avec les « mains vivantes » pour « fouiller le noir des moteurs », les mains qui parlent, comme un amas de gestes davantage quâun amas de paroles.
En plus dâêtre un livre très accessible et simple à lire, La chaise de Van Gogh reste un texte musical, dont les phrases syncopées, dont les saccades et les parataxes restent dans la tête. Câest une lecture inoubliable : sa simplicité, sa tendresse et sa franchise sont remarquables, dans lâévidente continuité de ses autres livres.
Victor Malzac
Paola Pigani, La chaise de Van Gogh, la Boucherie littéraire, 2021, 120 p., 15 â¬
Extraits :
Partir de tes mains, posées,
oh, pas longtemps et une à la fois seulement
sur la toile cirée. Jamais blanches.
La terre autant que la ferraille
les agite du matin au soir.
Mains à charrue écrivait Rimbaud.
Mains à moteur.
Un eczéma les renouvelle sans cesse.
Peau à renaître au savon noir.
Noir sous les ongles.
Vivre est clair.
A la Saint-Michel, payer le fermage.
Se laver, se frotter, se faire beau,
pour aller au guichet du Crédit agricole.
***
On en remplit des pleins seaux de ces pierres.
Tu laboures, il en sort de nouvelles.
Un lac de cailloux.
Plus tard, dis-tu, « On construira un manège ici ».
Plus tard, tu sèmes du maïs.
ça ne donne pas beaucoup sur cette terre
qui a du mal à respirer.
Il faudra retourner aux cailloux, des jours et des jours,
déterrer parfois des fossiles consolateurs,
trophées de notre préhistoire.
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