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La parole fée


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#1 Loup-de-lune

Loup-de-lune

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  • Une phrase ::« Je suis la jeune leucémique des lisières, dont l'allure odysséenne et frêle tantôt se coule dans le rêve tantôt repasse le linéament du réel... la jeune érythrophore des confins, la féale étymologie des crépuscules, qu'intégralement la mort est impuissante à com-prendre et que la vie échoue à con-cerner entièrement... »

Posté 01 février 2022 - 09:52

La parole fée


La petite bougie que j'avais allumée tenait maintenant bien droit, blanchoiement légèrement translucide, à peine enfoncé au coeur de l'assiette, dans le support de corps onctueux qui était le résultat gouttelé de l'adéquate inclinaison d'elle-même.


C'était aux prémices d'un soir encore, parcelle miraculeuse des assombrissements et des fourmillements, lorsqu'un silence, enfin, prévaudrait sur les contrats et les tribunaux, les sermons et les pas, les sentences et les poncifs, sur les lourdes envies et les aigreurs écervelées, les surdités et les amauroses orchestiques, sur les rabâchages en rimes nécessiteuses et le fier oukase des proses piètres, sur les volte-face et les palinodies, les courtoisies et les masques sourieux.


Je ne quittais pas des yeux la miniature ignée, cependant qu'elle descendait imperceptiblement, ayant tout l'air de rejoindre, charmée par l'appel des minceurs annelées, grenat, paille, bleu outremer, qui lotissaient la concavité de faïence, quelque chose l'attirant, incoerciblement... qui avait toutes les caractéristiques de l'ultimité même de la lumière.


Logés au sein de la flamme quiète, et entraînés par l'immobile coalisé avec le drame, l'arcelot noir de la mèche, l'incandescence de son extrémité, alludaient mon propre tableau intérieur : âme au fusain, apocalypse de l'hémopoésie lucide en le voyage-archer du souffle.


J'ai commencé à rechercher partout dans la chambre, aux fins de les colliger, les réfléchissements silencés. Et d'abord j'ai contemplé ceux des tortuosités de chrysocale, qui livraient au sentiment d'arabesques l'encadrement du miroir disposé désormais sur le mur de telle façon que je ne pourrais plus lire en mon visage ni tout le poids ni tout le nombre du sang. Puis j'en trouvai sur la poignée de la porte de la salle d'eau, sur les saillances métalliques de la cafetière et de la théière, sur l'arrondi du sucrier porcelanique, autant de dorures, de vermeilles, d'argentures, qui douaient telles des fées la vie plurielle d'un sidère nouveau-né. Ce parsemis munificent de la flamme, scintillations, gemmes, micas, qui ne minorait en rien sa source, imprimait nonobstant au tréfonds de moi la décisive épiphanie du bris.


J'en vins alors à désirer que la maladie qui m'avait tout à la fois multipliée et étrangée de mon axiome, me ravît au même moment que la flamme chimériquement pérégrine, avec la sporade de toutes ses mirances, s'éteindrait, témoignant de l'une de ces coïncidences si heureuses qu'elles atteignent aux mues corollophanes du mystère. 


Je dardai mes yeux sur la bibliothèque improvisée dont la paucité de livres n'avait point de cesse qu'elle ne s'obliquât. Derrière, en alternance avec de béants quadrangles, et de chaque côté, régulièrement, des croisements de bois mince et fauve ourdissaient des monotonies d'ajours losangés et de congés trigones.


Je me persuadais que j'avais apprécié là les derniers sortilèges atomiques, avant que le reliquat de la flamme n'eût consumé entièrement la paraffine, reformulant l'espace tout à la fois en des ténèbres infimement vanillinencensées, et en un degré supérieur du silence.


Mais, d'une façon progressive, j'entendis presque des voix, comme une conversation inchoative, murmurante, amoebée, entre le cheval blanc et le paradisier des deux évanouissants tableaux. Enclins à mourir à leurs huiles immutables, ils étaient épaves et téméraires au sein d'une foison de lignes d'épaisseurs diverses qui, sans cesse en mouvement, se croisaient, se décroisaient, se recroisaient de nouvelle manière, franches évocatrices du kaléidoscopique possible de tous les empêchements affidés à tous leurs passages concomitants.




Extrait de 'Proses poétiques pour les jeunes leucémiques' par LIU Bizheng 劉 碧峥, Éditions d'Autre Part & Leukaima, Fribourg, Neuchâtel, Genève (Suisse), Zhoushan Zhejiang 舟山 浙江 (Chine 中国), 2022 二千〇二十二 (printemps 春天). Tous droits réservés.

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