Ce sont de drôles de vieux oiseaux eux aussi, côte à côte,
leurs corps couverts de grandes capes noires
aux ailes ouvertes recouvrant la rambarde du pont,
penchés en avant sur le vide, tels les gargouilles
de nos cathédrales, égrenant le pain dur amassé ,
chapardé même et apporté de la maison de retraite
et la douzaine de canards qui errent sur la rivière,
réunis ici pour une fête, virevoltant dans des éclairs bleus
et verts, se disputent cette manne venue du ciel ,
animant l'air de leurs coins-coins joyeux
auxquels répondent bientôt les mêmes coins-coins,
humains ceux-là, des deux vieux heureux comme des enfants,
non sans créer un certain étonnement chez les rares passants,
perplexes et médusés devant ce cri d'amour et de solitude
d'un côté, de reconnaissance et de sollicitude de l'autre,
instants si rares d'une complicité partagée entre hommes
et bêtes
elle et lui seront là, tous les deux, jour après jour,
puis un seul, puis plus aucun, ... et les douze canards
comme les apôtres autrefois se sentiront abandonnés,
ils seront alors seuls à faire entendre leurs coins-coins
aux quatre coins de leur monde aquatique commun,
espérant confusément que leurs vieux amis leur répondront,
dressés, cou tendu, ailes déployées et claquantes,
lançant leurs cris perçants et poignants vers un ciel
immensément gris et vide tout comme à l'aube des temps