Nous, nous voulons parler d’un temps
Qu’on croyait révolu peut-être
Que les vieux près d’être croulants
Se seraient gardés de connaître.
Depuis Montmartre en ce temps-là,
Nous entendions siffler les balles,
Mélodieux cris de combat,
Et doux chants moqueurs des rafales.
Arsenal sur le chevalet
L’artiste pose, ajuste, affine,
Te défigure le portrait
Sans honte à grands traits de sanguine
Ville lumière et des amours
Allumée par les coups de foudre
D’amants en feu, aux rictus lourds,
Transis et bientôt à recoudre
Sous la pluie de débris humains
Que mitraille et bombes arrachent,
Projetés en geysers sans fin,
Nous chantons le temps des kalaches.
Nous parlons d’un temps détraqué
Où se fleurissent de couronnes
Les allées de troncs décharnés
De ce printemps en plein automne,
De la saison nouvelle où l’on
Ramasse à la pelle les prunes
En même temps que les marrons
À la terrasse ou en tribune.
L’heure où les corps s’ouvrent en fleurs
Et laissent des trous où se glisse
L’artillerie des déshonneurs
Emportant les cœurs au supplice
Qui palpitent suite à ce raid
Près de l’abîme, encore tièdes,
D’un coin de table ou de trottoir,
Étoilés par les gyrophares.
Alors ces jeunes mariés
Au diable lancent des dragées
Marquant leur baptême du feu
Jusqu’au fin fond de la banlieue.
Le voilà, le temps des pruneaux !
Par calibres mis en rangée,
Ils se répandent en ruisseaux,
Sèchent à point sur la chaussée
Et nous accrochions les lilas
Le long du boulevard Voltaire
En l’honneur de ceux morts là-bas
Au nom d’un ciel et de sa guerre
La haine oubliée reverdit,
L’inconnu redevient menace
Et de notre gorge jaillit
Ce flot de colère vivace.