ce corps-animal à la longue mémoire
qui plonge dans l'eau du bassin,
et dans le passé,
retrouvant dans l'instant des sensations oubliées,
depuis les toutes premières brasses dans le Gave
né de la fonte des neiges, dans les Pyrénées, froid
même au cœur de l'été, jusqu'aux mers chaudes
des Îles Caraïbes ou celles, à nouveau glacées,
des côtes arides du Désert d'Atacama au Chili
et à celles de l'île Sao Tomé, juste sous l'équateur,
qui s'enfoncent dans des profondeurs abyssales
maintenant,
quand l'eau glisse le long de ses flancs ;
que les bras frappent l'eau et la chassent,
telles les pales d'un vieux bateau à aubes
sur le fleuve Mississipi ;
que les pauvres pieds,
éternellement méprisés, humiliés, martyrisés ,
deviennent les attributs d'un Hermès ailé,
brassant et pétrissant l'eau avec la fougue
et l'allégresse d'une ballerine jambe tendue
sur ses pointes, avec des frissons voluptueux,
des ondes qui courent jusqu'à ses cuisses ;
quand l'un de ses pieds - le gauche - s'épuise
à suivre l'autre, découvrant sa maladresse
que la marche ordinaire, dans sa banalité,
masque ;
quand, délaissant le dos crawlé
et sa rigueur britannique, il rampe sur l'eau
comme Rahan, s'appuyant amoureusement
sur elle, en une immense et douce caresse
de tout son corps ;
quand, tout au fond, il retrouve
le poids écrasant des plongées profondes,
alors,
les frontières avec le monde réel s'estompent
pour lui, et il n'est plus qu'une pâle méduse
emportée par les courants marins, du varech
dérivant dans la mer des Sargasses, un fœtus
enfoui dans le ventre immense de l'océan
et guettant, à sa surface, une lueur, un signe,
peut-être
simplement
les couleurs nacrées de l'aube