il vole, imperturbable,
sur l'envers du ciel,
l'air d'un joujou en bois
d'un autre temps,
grossièrement taillé,
mais intact,
sans une seule éraflure,
calé bien à l'horizontale
en direction de la côte
des Maures et de l'Esterel
face à lui, l'autre,
étrave dressée vers le large,
indestructible, orgueilleux,
défie la houle
et les tempêtes,
canons menaçants
pointés vers le ciel
mais
il n'y a aucun bruit de moteur,
à bord,
aucun signe de vie,
il n'y a ni servants
de la batterie sur la frégate,
ni pilote dans l'avion
dont l'hélice s'est arrêtée,
l'un et l'autre désertés,
renvoyés à leur solitude
au fond des abysses
il y a plus de trois quarts de siècle,
ils s'étaient rencontrés,
par hasard,
au-dessus des eaux
de la Méditerranée,
ils s'étaient défiés,
puis affrontés
et, dès lors, avaient lié leur sort
et leur destin,
et ils se sont retrouvés
tous les deux
au fond de la mer,
réunis dans la mort
aujourd'hui, la même boue,
les mêmes algues
et les mêmes coquillages
se sont incrustés
sur les deux épaves,
les mêmes mérous
les mêmes murènes
hantent leurs entrailles
les mêmes détrousseurs
de cadavres s'affairent
autour
frères ennemis réunis
dans la même mémoire,
le même héroïsme,
le même malheur,
archanges déchus,
presque oubliés
dont les nouveaux
marchands du temple
se disputent la dépouille,
au risque de les renvoyer
cette fois, à jamais,
dans le néant
Le 31 juillet 1944, Saint-Exupéry part en mission. Il n'en reviendra pas.
Peut-être a-t-il croisé cette frégate allemande… .