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Eve ou une autre fin du monde


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#1 Jped

Jped

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  • Une phrase ::Le voyage immobile après une vie de voyage

Posté 25 octobre 2024 - 05:37

Eve s'est mordue la lèvre jusqu'au sang
en croquant la pomme, et ce goût fade
mêlé à la saveur douce et sucrée du fruit
l'a laissée songeuse, tandis qu'Adam,
insouciant, léger, virevoltait autour d'elle,

 

car elle, elle pressentait la fin de l'Eden
et la venue de temps plus sombres,
qu'elle était incapable de nommer, ignorant
le mot et la chose : la mort, la trahison,
la peur, la jalousie, l'envie, et même
le désir, le regret, l'ennui ou l'espérance


mais, depuis son acte de désobéissance,
des sentiments  troubles, des pensées confuses
l'habitaient et dessinaient un avenir incertain
qui exerçait sur elle un attrait  et une crainte
tels qu'ils obscurcissaient parfois ses yeux


elle comprenait vaguement qu'elle et Adam
entraient dans l'histoire, et elle avait déjà,
tout au fond, la nostalgie du Paradis Perdu,
en même temps qu'une confiance immense
et neuve dans son esprit et son coeur en éveil,
prêts à affronter les risques et les défis de la vie

 

  . . . . . . .  .   . . . . . . .

 

aujourd'hui,
quand les hommes qui se croyaient des Dieux,
les yeux enfin dessillés, savent que, non seulement
"les civilisations sont mortelles"*
                                mais la Terre aussi,
peut-être se convaincront-ils, comme Ève,

qu'après la pire des nuits vient toujours l'aurore,**

et que, malgré tout,

          "une autre fin du monde est possible"***

 

 

 

 

* Valéry : La Crise de l’esprit (Variété I) (« Nous autres, civilisations,
nous savons maintenant que nous sommes mortelles »)

 

**La Femme Narsès : Oui, explique !
Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd'hui,
et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire,
et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entre-tuent,
mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?

Électre : Demande au mendiant. Il le sait.

Le mendiant : Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore.

Jean Giraudoux (29/10/1882-31/01/1944) – Électre (dernières répliques, acte II, sc. 10)
(éd. Gallimard, 1937)

 

*** Graffiti sur un mur de Nanterre au temps de la Révolution Culturelle