et j'ai, soudain, la révélation de ma propre peau,
- oubliée, niée, abolie depuis le dernier été -
sous la longue, douce, pressante caresse de l'eau
qui enveloppe, étreint tout mon corps immergé
et que je fends et pénètre comme l'étrave d'un navire
souvent, en position ventrale, aveugle et sourd
à tout ce qui n'est pas la sensation de l'instant,
faisant des pointes rapides comme une vraie danseuse
ou essayant d'imiter celui qui marchait sur l'eau,
les battements des pieds mesurant la résistance
de la masse liquide, je cherche de mes bras tendus
vers l'avant, maintenant au bord de l'asphyxie,
la paroi du bassin dont le contact marquera
ma résurrection, dans une bouffée d'air frais
qui emplit jusqu'au plus profond de mes entrailles
d'autres fois, en dorsale, aveuglé encore mais de lumière,
ébloui, avant d'atteindre le cône d'ombre du toit, et là,
yeux grands ouverts vers ce ciel si absent de nos villes,
j'ai l'espace entier en face de moi, le vol, circulaire et lent
d'un faucon crécerelle, ou tendu des martinets rageurs
zébrant les airs comme une escadrille de combat,
parfois même une mouette égarée aux ailes hésitantes,
et moi barque rentrant au port à grands coups de rame,
bras dressés dégoulinants d'une eau scintillante au soleil
enfin, à bout de forces, dans une brasse coulée, ralentie,
baleine échouée à la dérive, balancée par la houle du large,
ou plutôt raie Manta déployant ses lourdes ailes delta,
s'appuyant de toute sa surface lisse et compacte sur l'eau,
mon corps-oiseau marin entreprend sa dernière traversée
jusqu'à venir se poser, alangui et heureux, sur la berge,
attentif seulement aux pulsations sauvages de mon cœur
et aux stridulations tremblées des premières cigales de l'été