De retour dans ma chambre au dernier étage ma vue se porte de l’autre côté de la frontière qui sépare les deux Congo. En face de moi les lumières de Kinshasa brillent de mille feux, c’est un peu comme admirer Manhattan depuis les berges de Brooklyn. Mais ici aucun pont ne permet de franchir la distance. Brazzaville compte environ deux millions d’habitants, Kinshasa six fois plus. Elle trône, si proche, presque accessible, avec ses tours étincelantes, ses enseignes scintillantes qui captent le regard et trompent la sensation d’éloignement. C’est une star drapée d’or et de paillettes qui danse derrière un ruban d’argent, ce fleuve tumultueux et infranchissable où nagent les poisson-tigres, énormes carnivores d’eau douce qui dévorent les petits crocodiles. Elle m’invite à la rejoindre, sauvage, rebelle indomptée, africaine à mille pour cent. Je voudrais appeler un taxi pour m’y rendre mais les flots rugissants larges d’un kilomètre m’en défendent. Sa respiration bruyante et saccadée surclasse les maigres décibels de notre rive maintenant apaisée. La rumba y gronde ses basses dans tous les maquis, elle y roule des hanches jusqu’au bout de la nuit, jusqu’à plus soif. Son patronyme sonne comme un nom de déesse : Kinshasa ! Un jour je viendrai goûter à ta folie nocturne, à tous tes excès, tes guet-apens. Kin-la-Belle, attends-moi !
Extrait de mon livre " La Terre est plate comme une orange" paru chez Hello Editions sous le pseudonyme D.B.FABRE.
L'intégralité de mes droits d'auteur sera reversée à la Ligue contre le Cancer.