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Antoine et Alice


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2 réponses à ce sujet

#1 Jped

Jped

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  • Une phrase ::Le voyage immobile après une vie de voyage

Posté hier, 06:54

Ils étaient tous deux presqu'aussi vieux que l'ancien four à bois

dans lequel il avait cuit le pain pour tous pendant un demi-siècle

et qui, vrai Moloch , crachait du feu en fin de nuit et , au matin,

Dieu rassasié, exhalait son haleine brûlante quand l'homme,

pour ajuster le degré de chauffe, enfournait quelques fougasses*

d'un seul geste puis, pour juger du point de cuisson, les retirait,

souvent dorées à point ou alors, les mauvais jours, noircies,

cramées, au goût de caramel inoubliable, au bord de l'amertume

 

Leur vieillesse heureuse

s'étirait maintenant, à l'étage, dans cette si douce chaleur

qui montait vers eux depuis le fournil, dont la vie secrète

leur était si familière qu'ils reconnaissaient chacun des bruits,

chaque frôlement, le moindre murmure , les silences aussi

que ponctuaient des éclats de voix qui, souvent, évoquaient,

pour eux, un visage, des rires qui leur réchauffaient le cœur,

les ramenant sans cesse aux belles années d'autrefois,

quand, dans la nuit, Antoine pétrissait religieusement la

pâte qui gonflait pendant qu'il jetait les tous premiers sarments

dans le four béant, encore tout tiède des fournées de la veille

 

La rue s'embrasait à son tour et, en face, sur les façades

à travers la fenêtre largement ouverte du fournil,

se jouait, en ombres chinoises, la Geste fantastique

dont Antoine était le vrai héros, Don Quichotte moderne,

ferraillant devant les braises ardentes, avançant hardiment

puis battant en retraite, revenant cent fois à l'assaut

dans ce qui semblait être un combat dérisoire, interminable,

dont sortirait pourtant la miche de pain de chacun d'entre nous

 

Vers la fin de leur vie, ils descendaient parfois de leur refuge

parmi les pains, aux formes et aux noms inconnus autrefois,

paillasses, torsadés, en épi, aux noix, au germe de blé, au sésame,...


Antoine les caressait du regard, entre nostalgie, étonnement

et tristesse : " Aujourd'hui, Monsieur, tout n'est que fantaisie ... "

Alice le regardait, assise sur la dernière marche de l'escalier,

un peu perdue elle aussi, mais son éternel sourire aux lèvres

 

Heureusement, le vieux four était toujours là, encore chaud

de la dernière fournée du matin, fidèle et qui ne ment pas.

 

 

                      Et il serait encore là, longtemps après eux ... .

 

 

* Les fougasses d'aujourd'hui ( fogazza) nous ont fait oublier que leur fonction initiale était de vérifier que le four était à bonne température. Leur goût est incomparable ( sans rapport avec les ersatz qu'on vend sous ce nom aujourd'hui, sauf évidemment si elles ont été cuites comme ici, dans un four à bois ).



#2 M. de Saint-Michel

M. de Saint-Michel

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  • Une phrase ::Je suis quelqu'un pour qui poésie et respiration ne font qu'un.

Posté aujourd'hui, 11:44

Nostalgie d’un savoir-faire et d’un état d’âme que les « modernes » ont oubliés mais qui, peut-être, un jour refleuriront…

#3 Laurence HERAULT

Laurence HERAULT

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  • Une phrase ::Notre monde a besoin de plus de poésie
    Mais si l'on cherche bien, elle se niche partout.
    Il y a des fleurs sauvages au pied des grandes tours
    Et le chant des poètes embellit notre vie.

Posté aujourd'hui, 08:13

J'ai ce goût qu'il me reste, des méandres de l'enfance, que je n'ai jamais retrouvé.