Inti
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Publications sur Toute La Poésie
Newsweek
27 avril 2007 - 10:08
« Des ouvriers de la société de destruction chargée de raser la partie est du Bronx eurent hier matin une étrange surprise. Alors qu’ils inspectaient une tour à moitié effondrée depuis les bombardements contre la guérilla terroriste, ils découvrirent sous un tapis de feuilles, recroquevillé sur un matelas, dans une chambre recouverte par la moisissure, le corps, totalement nu, de Francis Kirmânn.
F. Kirmânn, ex-PDG de la multinationale Tombclark inc, symbole de la suprématie américaine dans les années 1990, prototype du self-made man, qui avait défrayé maintes fois la chronique internationale de ses discours grinçants, son sarcasme, sa suffisance insolente, puis par sa mystérieuse disparition à la veille du onze septembre.
Le rapport d’autopsie précise quelques détails intrigants ; la mort semble avoir précédé de quelques heures à peine la découverte du corps. Le sang contenait un taux anormalement élevé en certaines substances à effet légèrement hallucinogène, présentes dans la résine de certains arbres tropicaux, disparus pour la plupart lors des grandes déforestations en Amazonie ; et les feuilles qui couvraient son corps provenaient indiscutablement du saule pleureur multi centenaire abattu quelques heures plus tôt sur Central Park. »
Le perchoir
26 avril 2007 - 01:34
Un soir lui pris du désir de voir son corps.
Il n’y parvint pas. Rien que de l’écorce - rugueuse, craquelée, odorante, sans âge. Ou même, dans un effort intense de concentration, une image par intermittence : un corps nu, enfermé dans une chambre, vague foetus sur un matelas rongé, à même le sol, un mur de moisissures.
Mais les questions n’existaient plus.
Il savait son besoin de diriger, mais n’avait pas à le combattre. Son être n’était que sensations, souvenirs éternels. Un cœur torturé par la finesse de sa peau, mais libéré des serres de la conscience, sorti du labyrinthe cérébral. Il pouvait s’élever à sa guise au dessus du monde, et le contempler de ses sens aiguisés à l’extrême : il le sentait à travers chaque ramille, chaque feuille, jaune et desséchée ou tendre et verte, et la sève rapportait à son esprit somnolent images, odeurs et mouvements.Il avait vu des villes émerger,
Gonfler, se tendre, bouillir, grouiller
Songer, s’éveiller
Pour exploser enfin dans une acre odeur de poudre
Dans un murmure vibrant d’uranium.
Il avait vu des fourmis
Dévorer des géants, des tours
S’écrouler sous des rafales d’avions,
Des mendiants étrangler des bourgeois
Hautains et indifférents devant leurs mains suppliantes,
Le monde terrorisé par quelques oppressés ayant perdu leur foi
Dans le martyre salvateur
Le soleil avait soulevé mille fois ses paupières brûlantes
Les avait emportées au gré de ses rayons
Se rafraîchir à l’onde de cascades
Les larmes de la Lune
Mourante
Avaient coulé sur ses joues
la Terre lui avait susurré
Ses secrets
D’un bruissement d’herbe
Rugi ses colères
Dans de titanesques feux d’artifices
Pleuré ses souffrances
Du bleu profond
De ses yeux
Immenses et
Noyés
De pétrole.
Il avait goûté le sang
Sur le poignard des assassins
Sur les machettes rwandaises
Sur la peau des nouveaux nés
Il avait vu des couples
S’enlacer
Au détour de ses racines
Senti les désirs
Vécu la terreur
Les lances du pouvoir
Lui avaient crevé les artères
Et le dégoût
Avait suinté de ses blessures.
Il s’était effacé derrière le bouclier d’écorce.
Il n’était plus que douleur, passion, bonheur, ennui, sagesse.
Arbre.
Profonde certitude dans l’attente. Seul comptait alors
l’intuition de l’idée
l’impression laissée
l’encre déposée par l’instant sur les tablettes de la mémoire, fraîches comme l’aube rosée des printemps malaisiens,
et pressentir le amok monstrueux, la mousson de pointes effilées, prête à s’abattre sur leurs poitrines.
Une dernière goulée de sève l’arracha au labyrinthe de ses méditations. L’éther était profond, la Terre dans le silence.
Un pudique manteau de brume le cachait à la migraine des hommes, et le présentait, ainsi qu’on présente un nouveau né à sa mère, aux brillantes pupilles des cieux. Elles semblaient l’accepter - un instant - dans leur scintillement maternel, puis détourner le regard, mélancoliques, pour disparaître aussitôt, happées par un tourbillon de jais. La sève engourdissait ses sens, ses paupières craquaient doucement, sous le poids noueux des cils, où naissaient les bourgeons printaniers.
Il laissa l’écorce se refermer. Bercé par la bise, il glissait mollement dans les bras du sommeil.
La première aiguille le sortit de sa torpeur matinale. Elle lui avait transpercé la cheville. Un grondement strident vrilla ses tympans feuillus. L’éclair d’une lame giratoire l’aveugla. Sa peau s’ouvrit sous les dents affamées et la sève s’épancha sur le sol. Mille aiguilles remontaient le long de ses veines, la douleur le submergeait telle une marée d’acide. Les images tourbillonnaient devant ses yeux encore embués, ses oreilles sifflaient, la terreur cerclait sa gorge.
Un hurlement de fibres
Arrachées
Résonna à l’infini
Des gratte-ciels
Son cœur brillait
D’une lumière apaisante
Les rétines rêvent - parfois
23 avril 2007 - 08:16
Une ou deux tombent
Somnolentes
Sur le goudron
Au travers de la surface dépolie du boulevard
On peut
En s’approchant
Entrevoir de larges flammes
Diaphanes
Démêlant leurs mèches cuivrées dans les remous
Vagabonds
Le regard s’abandonne aux vagues de chaleur
Il est seul
Détaché d’un corps translucide –
Presque impalpable -
Plus légers que l’air
Les yeux peinent à fixer l’asphalte
Peu à peu
Les iris
Délestent leur proue
Se cabrent
Arrachant dans leur élan
Quelques plaques gélatineuses
A la route
Prudentes, les flammes palpent la brèche
Esquissent une caresse
Voltigent
Gracieuses
Rebondissent sur quelques racines.
Les gouffres rétiniens coulissent le long du tronc qui se couvre d’anneaux d’or, se dispersent dans les branchages, perdent pied dans le feuillage, retombent dans le couloir central.
L’ascension arque le corps
Elastique
Les mains tardent -
A atterrir
Une chaleur
Se laisse
Attirer par les doigts
Qui s’incurvent
La chevelure est pénétrée
Noue les phalanges
Et chavire
Tendrement
Le corps
Malléable
Plongeon -
Des yeux
Rencontrent
Leur miroir
Unisson
Des surfaces
Aimants
Océans
Le corps s’est perdu
Dans le courant
Rougi
Le sang
L’inexorable
Sang
Ce sang qui s’infiltre
Où qu’on soit
Mon sang
Cellule du Sandisniste
21 avril 2007 - 11:29
L’allumette craque entre les doigts.
Pour un instant incendie du visage
Lunettes incandescentes
- pour un instant seulement -
Alors : douce lueur qui vacille et se meurt
Phosphorescence entre les phalanges
Douleur sourde, infuse-peau
Le carbone rejoint la terre.
L’allumette craque entre les doigts.
Bref éclat des façades
Persistance rétinienne
Et gravures de cris dans la pierre
Crevasses du plafond
Trace évanouie d’une bibliothèque
Hasta Siempre !
Obscurité morne, feutre-murs
Le carbone rejoint la terre.
L’allumette craque entre les doigts.
Pupilles subitement rétractées
Battement de paupières
- cils entremêlés -
Alors : iris frémissant qui aspire le vide
Vide infiltré puis siphon
Révolution qui vacille et se meurt
Irisations vertes aux rosaces
Trépas lourd, drape-idées
Le carbone rejoint la terre.
L’allumette craque entre les doigts.
Morsure sulfureuse à la gorge du silence
Persistance olfactive
Et grésillement de la résine contre les fibres
Fissure des tympans
Echos vibrants du passé
Hasta Siempre !
Résonnance, traverse-pièce
Le carbone rejoint la terre.
L’allumette craque entre les doigts.
Acre nuage soufflé saccadé
Lèvres tremblantes
Alors : flux et reflux de l’air qui se vide
Vide infiltré puis siphon
Doux sourire qui vacille et se meurt
Miroirs dépolis des incisives
Oxyde mat, saigne-poumons
Le carbone rejoint la terre.
L’allumette craque entre les doigts.
Tourbillons affolés dans l’éther
Persistance aérienne
- volutes au néant -
Béance de l’ombre
Idéaux évanouis
Hasta Siempre !
Bise glaciale, givre-cellule
Le carbone rejoint la terre.
Sans Titre
19 avril 2007 - 07:06
Adossée à la pierre. Les lueurs
De l’aube t’ayant prise pour cible
Marbraient ta peau blanche des langueurs
Froides des halos dispersés, roses
Sous la buée des fenêtres closes
Je cherchais l’onde de ton regard
Sous mille cils infinis et noirs
Et je m’abreuvais à tes soupirs
Tandis que déjà tes doigts graciles
Frémissaient sur mon cou - de désir !
Et me noyaient de charmes agiles
Je suis seul devant les vitres closes
Les phares scintillent et se troublent
Pâlissant l’air de rayons moroses -
Et de nouveau les secondes coulent
Il neige des cendres sur Toulouse
Et, ville rose, tu te grises
Le tourne-disque tourne son blues
Je fredonne, mais, voix, tu te brises
Ô jours bénis, Samedi, Dimanche,
Que vos noms soient litanies - et mon lit,
Diffuse tes parfums ! Tremble, branche,
Oui, tremble sous les cendres de nos nuits