Majoritairement, il y a un son slam.
Les mots aiguisés cliquètent comme des lames.
Les poètes s’expriment comme des escrimeurs.
Les artistes s’escriment, orateurs et rimeurs.
Ça parle dans l’urgence, ça clame, ça déclame
au rythme du hip-hop, des clips, de la réclame.
Pas le temps d’ respirer, de jouer au charmeur,
faut parler des gamins qui devant les chars meurent.
Oui, jeu de mot facile ; pardon, je fais mes gammes.
Ma première leçon, c’est le son. Mon programme,
c’est de claquer les mots pour lancer la clameur,
c’est l’ tempo dans la peau pour faire un bon slameur.
J’ dois vous sortir ma rage et les bleus de mon âme,
scander sur les scandales et bramer sur les drames,
cheminer dans mon cœur comme un pauvr’ ramoneur,
en y grattant la crasse pour chercher le bonheur.
Croyez pas que j’ me moque, que j’ défie, que j’diffame.
Ce serait trop facile, trop futile, presque infâme
de caricaturer. Ce s’rait moi le frimeur
si avec ma culture je jouais au sermonneur.
Je n’ suis pas un gamin paumé sur l’ macadam,
moi je vais au théâtre, et j’ sors avec madame.
Ce soir en poésie, j’ suis du côté fumeur,
moi qui par habitude préfère les parfumeurs.
Mon texte est mal léché, je me lâche, je m’enflamme,
j’ viens de perdre trente ans, c’est tentant, je tam-tam.
Quand j’ vocifère, je vis si fort, et mon humeur
s’illumine sur vous ; je suis un allumeur.
Je transpire mes idées, et mes mots je les crame,
et je boue jusqu’au bout. Le slam, c’est le hammam
du poète. La sueur perle. Le cœur parle. La chaleur,
c’est le choix le meilleur pour chasser la douleur.
Mais cette foi nouvelle qu’aujourd’hui je proclame
n’est peut-être qu’un leurre, un jeu pour qu’on m’acclame.
Vous pensez qu’ j’en fais trop, que j’ suis trop beau parleur,
que l’exercice de style est plutôt racoleur.
Peut-être. Si mon blabla, hélas, reçoit vos blâmes,
je n’ai plus qu’à souffler humblement sur ma flamme.
S’il le faut je m’incline devant mes détracteurs.
Je redeviens moi-même, mais heureux d’être acteur !
Yannick Nédélec
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Le hammam des poètes
21 mai 2009 - 10:51
La charge des éléphants
05 mars 2009 - 05:09
Ce jour là , les touristes
promenés sur la piste
d'un safari organisé,
en mini bus climatisé,
pensèrent avoir des visions :
une horde de lions
faisait face au danger
des éléphants prêts à charger.
Quelle querelle, quelle histoire,
quelle invasion de territoire
avait pu alarmer
de si redoutables armées ?
Mystère. (Souvent on oublie
les origines des conflits.
La rancune tourmente,
la vengeance alimente.
Quand on a perdu la question,
on continue, par tradition,
à batailler pour la réponse.)
Après quelques coups de semonce,
les pachydermes s'élancèrent
vers leurs terribles adversaires.
Et là , dans le bruit, la fureur,
apparut une erreur,
un détail immanquable :
au milieu de tous ses semblables,
un éléphant en jupon mauve
dansait en allant vers les fauves !
Les genoux hauts, la trompe en l'air,
il paraissait protocolaire
tout en étant extravagant !
Ridicule mais élégant,
on l'eut dit évadé
de quelque cirque démodé.
Dans ce combat tragi-comique,
un deuxième excentrique
attira l'attention :
au premier rang des lions,
dressé sur ses pattes arrières,
un ruban rouge à la crinière,
il rugissait un chant puissant,
fier, solennel et menaçant.
Devant les hommes éberlués,
les bêtes se sont entretuées.
Hurlements de douleur, de rage,
actes de fuite ou de courage,
cris dans la poussière étouffante
des lionnes et des éléphantes…
Et au milieu de ce vacarme,
éclaboussés de sang, de larmes,
un assaillant dansait,
un assailli chantait.
Ce jupon, ce ruban,
flottant entre les combattants,
pour tous les spectateurs ce fut
la pire folie jamais vue !
A la fin de l'assaut,
devant les orphelins lionceaux
et les éléphanteaux couchés,
un écossais, plutôt âgé,
rompit le lourd silence.
« Hymne poignant, et jolie danse…
Je fus ce lourdaud en tutu
parmi mes amis abattus… »
Tous ses compagnons de tourisme
craignirent un fort traumatisme.
Le vieil homme expliqua :
« Je me suis trouvé dans ce cas,
musicien costumé parmi
des soldats devant l'ennemi.
Ma cornemuse sonnait fort
pour apporter du réconfort
à mes voisins sous la mitraille.
En kilt comme en Cornouailles
ou dans mes fêtes d'Edimbourg,
je marchais à côté du tambour.
Rien ne semblait m'atteindre.
De tous ces fous j'étais le moindre.
La musique adoucit les mœurs…
Quand les hommes se meurent
dans les incendies qu'ils allument,
il faut bien souvent qu'ils parfument
leur puanteur fanatique
par quelques notes poétiques…
Sur le quai d'Auschwitz en décembre
jouent des violonistes de chambre.
Les condamnés devant la fosse
entendent des valses de Strauss.
L'infidèle qu'on défenestre
a droit aux honneurs de l'orchestre… »
Personne ne dit mot.
On regardait les animaux.
Le clown ne dansait plus.
Au moment du salut,
il s'écroula. Sur scène.
L'écossais en eut de la peine…
http://nedelec-fables.over-blog.com
promenés sur la piste
d'un safari organisé,
en mini bus climatisé,
pensèrent avoir des visions :
une horde de lions
faisait face au danger
des éléphants prêts à charger.
Quelle querelle, quelle histoire,
quelle invasion de territoire
avait pu alarmer
de si redoutables armées ?
Mystère. (Souvent on oublie
les origines des conflits.
La rancune tourmente,
la vengeance alimente.
Quand on a perdu la question,
on continue, par tradition,
à batailler pour la réponse.)
Après quelques coups de semonce,
les pachydermes s'élancèrent
vers leurs terribles adversaires.
Et là , dans le bruit, la fureur,
apparut une erreur,
un détail immanquable :
au milieu de tous ses semblables,
un éléphant en jupon mauve
dansait en allant vers les fauves !
Les genoux hauts, la trompe en l'air,
il paraissait protocolaire
tout en étant extravagant !
Ridicule mais élégant,
on l'eut dit évadé
de quelque cirque démodé.
Dans ce combat tragi-comique,
un deuxième excentrique
attira l'attention :
au premier rang des lions,
dressé sur ses pattes arrières,
un ruban rouge à la crinière,
il rugissait un chant puissant,
fier, solennel et menaçant.
Devant les hommes éberlués,
les bêtes se sont entretuées.
Hurlements de douleur, de rage,
actes de fuite ou de courage,
cris dans la poussière étouffante
des lionnes et des éléphantes…
Et au milieu de ce vacarme,
éclaboussés de sang, de larmes,
un assaillant dansait,
un assailli chantait.
Ce jupon, ce ruban,
flottant entre les combattants,
pour tous les spectateurs ce fut
la pire folie jamais vue !
A la fin de l'assaut,
devant les orphelins lionceaux
et les éléphanteaux couchés,
un écossais, plutôt âgé,
rompit le lourd silence.
« Hymne poignant, et jolie danse…
Je fus ce lourdaud en tutu
parmi mes amis abattus… »
Tous ses compagnons de tourisme
craignirent un fort traumatisme.
Le vieil homme expliqua :
« Je me suis trouvé dans ce cas,
musicien costumé parmi
des soldats devant l'ennemi.
Ma cornemuse sonnait fort
pour apporter du réconfort
à mes voisins sous la mitraille.
En kilt comme en Cornouailles
ou dans mes fêtes d'Edimbourg,
je marchais à côté du tambour.
Rien ne semblait m'atteindre.
De tous ces fous j'étais le moindre.
La musique adoucit les mœurs…
Quand les hommes se meurent
dans les incendies qu'ils allument,
il faut bien souvent qu'ils parfument
leur puanteur fanatique
par quelques notes poétiques…
Sur le quai d'Auschwitz en décembre
jouent des violonistes de chambre.
Les condamnés devant la fosse
entendent des valses de Strauss.
L'infidèle qu'on défenestre
a droit aux honneurs de l'orchestre… »
Personne ne dit mot.
On regardait les animaux.
Le clown ne dansait plus.
Au moment du salut,
il s'écroula. Sur scène.
L'écossais en eut de la peine…
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Le perroquet et le hibou
01 mars 2009 - 04:59
Un perroquet avait la langue bien pendue.
Jamais dans la forêt on avait entendu
pareil bavard ! Mais ses paroles
n'étant vraiment que fariboles,
son entourage lui ordonna de se taire
ou d'élever le niveau de ses commentaires.
Demander de faire plus court
aux habitués des longs discours,
réclamer le silence, ou seulement des pauses,
à ceux dont le débit jamais ne se repose,
vous savez, n'est guère efficace.
Le défaut est des plus tenaces !
Aussi ce perroquet, sans renoncer au bruit,
s'en fut prendre conseils chez les oiseaux de nuit,
croyant qu'il lui serait possible
d'apprendre des hiboux paisibles
la sagesse, l'esprit, l'à -propos, l'élégance
qui nourriraient enfin sa si belle éloquence.
« Maître Hibou, je veux penser.
Car ce n'est pas tout de causer,
mes voisins de branches souvent me le répètent.
Faîtes-moi devenir philosophe ou poète.
Je vous paierai pour vos leçons.
Allons, hululez, sans façons. »
L'autre roula des yeux, ouvrit un peu le bec,
digne et condescendant comme un gros archevêque,
mais il demeura silencieux.
Le bavard s'attendait à mieux.
Il insista, jacassa, roucoula, chanta,
parla de tout, de rien, sans aucun résultat.
Le rapace resta de marbre,
mystérieux, pensif, sur son arbre.
Un pic-vert voyant la scène conclut en morse,
frappant, dépité, la morale sur l'écorce :
« Ah, nous voilà bien avancés !
Entre un qui parle sans penser,
et l'autre qui pense sans parler ! Quel gâchis !
Y aurait-il si peu de discours réfléchis ?
Allez, causeurs impénitents
et philosophes rebutants,
vous ne servez à rien qu'à agacer le monde !
Il faut bien que le verbe et l'idée se fécondent. »
Jamais dans la forêt on avait entendu
pareil bavard ! Mais ses paroles
n'étant vraiment que fariboles,
son entourage lui ordonna de se taire
ou d'élever le niveau de ses commentaires.
Demander de faire plus court
aux habitués des longs discours,
réclamer le silence, ou seulement des pauses,
à ceux dont le débit jamais ne se repose,
vous savez, n'est guère efficace.
Le défaut est des plus tenaces !
Aussi ce perroquet, sans renoncer au bruit,
s'en fut prendre conseils chez les oiseaux de nuit,
croyant qu'il lui serait possible
d'apprendre des hiboux paisibles
la sagesse, l'esprit, l'à -propos, l'élégance
qui nourriraient enfin sa si belle éloquence.
« Maître Hibou, je veux penser.
Car ce n'est pas tout de causer,
mes voisins de branches souvent me le répètent.
Faîtes-moi devenir philosophe ou poète.
Je vous paierai pour vos leçons.
Allons, hululez, sans façons. »
L'autre roula des yeux, ouvrit un peu le bec,
digne et condescendant comme un gros archevêque,
mais il demeura silencieux.
Le bavard s'attendait à mieux.
Il insista, jacassa, roucoula, chanta,
parla de tout, de rien, sans aucun résultat.
Le rapace resta de marbre,
mystérieux, pensif, sur son arbre.
Un pic-vert voyant la scène conclut en morse,
frappant, dépité, la morale sur l'écorce :
« Ah, nous voilà bien avancés !
Entre un qui parle sans penser,
et l'autre qui pense sans parler ! Quel gâchis !
Y aurait-il si peu de discours réfléchis ?
Allez, causeurs impénitents
et philosophes rebutants,
vous ne servez à rien qu'à agacer le monde !
Il faut bien que le verbe et l'idée se fécondent. »
Portrait de l'homme
19 janvier 2008 - 06:49
Une nouvelle fois, le grand génie barbu
prend un crayon et une feuille.
Pas d’hésitation pour le début :
quelques traits simples en un clin d’œil
font naître un personnage juvénile.
- Dieu que cela paraît facile ! –
Le garçon si vite croqué
semble rire, peut-être se moquer.
Décontracté, se croyant naturel,
ce petit homme beau et fier
à l’examen ne se révèle
qu’une caricature assez grossière.
L’esquisse pourtant est exquise,
mais le dessinateur précise.
Il ajoute, il corrige, il civilise.
Ce portrait, il le travaille, il le sculpte
si bien qu’il en résulte
l’image aboutie d’un sujet adulte.
Le rire est estompé, la position
plus rigide (lui doit se trouver digne),
la passion est devenue ambition
dans un regard où rien ne cligne.
L’artiste observe la belle attitude,
ce visage empli de certitudes…
Enfin, insatisfait de son étude,
en tremblotant un peu il crayonne,
il surcharge, il rature, il brouillonne,
et ne produit qu’une vieille personne.
La silhouette évidemment se tasse,
les traits se croisent, plus épais.
On a perdu beaucoup de grâce ;
a-t-on gagné un peu de paix ?...
Une nouvelle fois le grand génie barbu
saisit la feuille et la déchire.
L’homme est encore jeté au rebut,
et son créateur encore soupire…
prend un crayon et une feuille.
Pas d’hésitation pour le début :
quelques traits simples en un clin d’œil
font naître un personnage juvénile.
- Dieu que cela paraît facile ! –
Le garçon si vite croqué
semble rire, peut-être se moquer.
Décontracté, se croyant naturel,
ce petit homme beau et fier
à l’examen ne se révèle
qu’une caricature assez grossière.
L’esquisse pourtant est exquise,
mais le dessinateur précise.
Il ajoute, il corrige, il civilise.
Ce portrait, il le travaille, il le sculpte
si bien qu’il en résulte
l’image aboutie d’un sujet adulte.
Le rire est estompé, la position
plus rigide (lui doit se trouver digne),
la passion est devenue ambition
dans un regard où rien ne cligne.
L’artiste observe la belle attitude,
ce visage empli de certitudes…
Enfin, insatisfait de son étude,
en tremblotant un peu il crayonne,
il surcharge, il rature, il brouillonne,
et ne produit qu’une vieille personne.
La silhouette évidemment se tasse,
les traits se croisent, plus épais.
On a perdu beaucoup de grâce ;
a-t-on gagné un peu de paix ?...
Une nouvelle fois le grand génie barbu
saisit la feuille et la déchire.
L’homme est encore jeté au rebut,
et son créateur encore soupire…
Les deux jardiniers
30 décembre 2007 - 05:35
LES DEUX JARDINIERS
Deux vrais amis vivaient au Monomotapa.
(Cette première phrase est, je l'avoue, copiée
sur La Fontaine mais, pour parler d'amitié,
ce clin d'œil du début ne peut être un faux pas.)
Tous les deux étaient jardiniers.
(Pour une belle histoire, il vaut mieux, n'est-ce-pas,
tailler le laurier ou la rose
que conduire un camion ou laver des assiettes.
Mais vous avez raison, il est temps que j'arrête
mes parenthèses.) Le récit que je propose
est assez ancien. Il faut donc que j'interprète
des faits douteux. Afin qu'ils deviennent grandioses.
Les amis travaillaient sur les mêmes parterres,
faisaient les mêmes gestes et les mêmes grimaces
contre la mauvaise herbe et devant les limaces.
Car surtout ils aimaient se taire.
Sentir le même vent, suivre les mêmes traces
leur donnait des sourires et non des commentaires.
Mais un prince engagea l'un d'eux…
Les hasards de la vie, les guerres, les alliances,
les fortunes, les deuils, l'ordre et l'obéissance
placèrent la moitié du monde entre les deux.
Sans jamais accepter l'absence,
ils vécurent, patients, jusqu'à devenir vieux.
Longtemps après la déchirure
parvint au sédentaire une lettre jaunie
postée trois ans plus tôt du fond de l'Hyrcanie.
En larmes, il s'obligea à finir sa bordure,
puis, tremblant, déchira l'enveloppe bénie.
Oh non, ce n'était pas un récit d'aventure !
Juste une phrase simple, apportant tant de joie :
« Hier j'ai taillé mes rosiers. »
Cela suffit au vieil homme pour s'extasier.
Lui revinrent au cœur les parfums d'autrefois.
Alors il chercha des mots pour le remercier.
Il voulut lui écrire une lettre de roi,
pleine de sentiment, d'urgence et de ferveur,
chercha, raya, jeta… enfin ne réussit
qu'à mettre : « J'ai taillé mes rosiers, moi aussi. »
Six mois plus tard un voyageur
emporta ce courrier énorme mais concis.
Comment dire ce qui nous ronge ?
A son mari parti au front pendant la guerre,
la femme écrit : « j'ai planté les pommes de terre ».
Les paroles ne sont que le dépôt des songes.
Vouloir trop préciser les contours du mystère,
c'est envoyer les mots au devant du mensonge.
Notre vocabulaire est trop superficiel.
Largement suffisant pour dire le visible,
il peine à s'accorder sur la corde sensible.
Pour l'émotion, le mot est partial, et partiel.
Car l'essentiel est indicible.
(Tout ce que j'ai dit là n'est donc pas essentiel…)