LA VIE DANS L'HOMME
Jour premier : La naissance
Il m'a poussé l'envie en ce milieu de lune,
Attablé dans un rêve et servi par l'esprit,
De croquer l'existence et laisser sur le lit
Ce qui n'est véritable ou qui ne soit fortune.
J'ai tant écrit, bien plus que les journées ne passent,
Et le rêve, un seul rêve a changé la valeur.
Il m'a dit : « Servez-vous, je suis l'exécuteur,
Je construis et détruis la vie, selon vos grâces.»
Et je l'ai pensé juste et libre et responsable,
Et je me suis permis à d'impossibles Moi;
Toute la nuit se mit alors à marcher droit
Sur un nouveau réveil infiniment capable.
La nuit dernière est là , elle n'est pas éteinte,
Je la sens dans ma tête autant que sous mes pieds;
La Belle est bien trop forte, et pris sous ses clartés
Je sens être l'enfant de sa poitrine enceinte.
Et il m'est revenu soudain dans ma mémoire !
-Qui ? Un vieux souvenir, un Poème Perdu :
« Le rêve, conta-t-il, descend le jour venu,
Vous pourrez le croiser, mais il faudra y croire ! »
J'ai ce matin jeté l'Autre par la fenêtre,
Je n'irai jamais plus que vers les Essentiels;
J'écrirai moins mais vrai, mes mots seront des Ciels,
Car je dois me servir de ce que dit mon être.
Ô rêve ! Ô bâtisseur ! Ô pouvoirs de nos âmes !
Je sais l'Homme puissant au-dedans de l'esprit,
Quand déchargé du corps trop contraignant pour lui,
Il revient de la nuit plein d'ors et d'oriflammes.
C'est ainsi, mon enfant, je pars vivre la Terre,
Ce voilier, le vois-tu ? C'est le mien, il m'attend.
Il a besoin de moi bien plus qu'un moindre vent,
Il se prénomme NUIT, et n'a pas de frontière.
Deuxième jour : L'enfance
Autour de moi la mer, qu'elle, et ma latitude,
Et l'étrange horizon d'un rose enthousiasmant,
Porteuse d'équipées. Ah qu'en ce matin prude
L'aube prit son envol impérialement !
Et tout le jour durant n'a été que conquêtes,
Propagation d'un trône et somptuosité !
Et les sillons danseurs s'organisant des fêtes,
Endéans de ce jour tout fut qu'un grand ballet !
Je file nulle part mais le cœur sur la voile,
Lors le rêve d'hier acquiert un sens profond;
Qu'où m'entraîne le NUIT si je suis son étoile,
Qu'importe l'univers dans mon champ de vision !
Un peuple m'a parlé, la Tribu des « Silences »,
Je les entends encor cogner mes deux hublots,
Ils m'accompagneront, ils sont mes matelots;
Autour de moi la mer, qu'elle, et mes importances.
Les jours suivants : L'adolescence
Une barbe a surgi du creux de mon visage,
Tandis qu'un tourbillon s'est soudain mis à flots.
Sauvagerie ! Tourmente ! Ivre des météos,
L'océan s'est ouvert, confinant mon voyage.
Assailli de tous bords, restreint à l'habitacle,
Sans plus mes matelots, sans plus sentir le NUIT
J'ai eu peur, j'ai eu froid, et j'ai eu l'Infini,
Mais mon corps demeurait le plus saillant obstacle.
Il n'eut pas que les eaux ni leurs pieds de géantes
Qui vinrent se briser de mes quatre regards,
Les charniers aqueux n'étaient pas moins bavards,
Et j'ai cru quelque fois en des ombres passantes.
Et tout s'est arrêté, tout à repris sa place :
La mer sa platitude et le voilier son cours;
Puis elle est apparue au carreau, sans discours,
Et je lui ai souri tout le court face à face.
Puis elle est repartie en m'offrant, généreuse,
Une nouvelle voile, un nouveau mât, du vent;
Thétys avait ouï mon rêve, assurément,
Et m'avait joliment coupé ma barbe affreuse.
Les mois suivants : L'adulte
J'ai roulé sur les mois sans plus d'éléments sombres,
Tout ne fut que douceur, mousse et ravissement;
J'ai détruis, reconstruis par-dessus mes décombres,
De chaque coin de mer et bout de continent.
***
Avant midi, j'ai mis le NUIT dans une crique,
Et je me suis assis sur le sable doré ;
L'eau turquoise lécheuse accolait ma fabrique
D'organes tel le vent dans chaque palmier,
C'est alors qu'attiré par un bruit de ramille
Je me suis retourné, happé de l'intérieur,
J'étais seul, constatais-je, aussi seul que cette île,
Mon corps avait encor l'esprit navigateur !
Mais en réorientant mes yeux sur le rivage,
J'ai cru l'île et le vent en vouloir à mon sort :
Car mon voilier partait, et j'étais sur la plage
Ainsi que d'un otage, et j'étais à Nul-Port.
Puis le NUIT disparut derrière un mur de roches,
-Seuls mâts et pavillon levaient leurs adieux,
Il partait comme on veut qu'il le soit pour nos proches,
Et je suis resté fort, muet, respectueux.
Le bateau, du zénith jusqu'au soleil orange,
N'a cessé de voguer dans mes pensées d'amour,
Et j'ai eu l'impression que mon sommeil étrange,
Mon rêve, avait fini au centre de ce jour.
J'ai parcouru le globe ambitieux que de vivre,
De pauvres en nababs, de rois en miséreux ;
Et des pales tambours aux instruments de cuivre,
Tous se sont rassemblés à mon passage, heureux.
J'ai à cette heure-ci réalisé mon rêve,
Je devais le croiser : Le NUIT fit son réveil,
Il était de retour, accosta sur la grève,
-Et ce que j'ai vu lors fut juste sans pareil !
Un livre y descendit, en rang, page après page,
Je n'avais pas écrit que ce petit journal,
Ces quelques sentiments, mais bien davantage,
Car l'ouvrage du songe est toujours colossal.
C'est devant un feu vif, aux mains des aventures,
A la vue du plaisir et des contentements
Que je vous abandonne à ces mots minuscules
Face à de si profonds et hauts enchantements.
Le retour : La vieillesse
Si l'azur aujourd'hui sur mon jardin grisonne
Sa laine est tel un masque et sa pluie confettis,
Quand hier je ne voyais que tristesse et ennuis
Lors dedans l'enclos vert tout vibre et carillonne.
Je contemple dehors, par ma fenêtre ronde,
La silhouette du NUIT, roi, sous le projecteur,
L'aventureux ami touchant l'ouest enjôleur,
Je contemple et je sais sa mémoire féconde.
C'est ainsi, mon enfant, tu pars vivre la Terre,
Tu es grand à présent, ce voilier t'appartient,
Nul-Port t'apparaîtra au bout du grand chemin,
Ton rêve est à construire et n'a pas de frontière !
En plein milieu des eaux tu croiseras mon ombre,
Et je te saluerai, et tu me salueras,
Et je te crierai : « Vie ! », « Envie ! » tu répondras
Et je te donnerai la couleur en grand nombre.
Va caresser ton cœur que ton désir veut lire,
Sens-toi libre une fois, respirer une fois !...
Il y a dans le rêve une petite voix
Qu'aucun livre jamais ne pourra mieux décrire.
***
Il m'a poussé la mort en ce milieu de lune,
Dans ma chaise à bascule, épris de souvenirs :
Le NUIT , les matelots, Nul-Port, et la fortune,
Je suis parti rêvant des plus beaux avenirs...




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