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C H U T E
Rassasié de sang, de plaisirs et d'orgueil,
L'œil
Troublé par la liqueur et bercé par la palme,
Calme,
Un roi, des temps anciens – ou futurs, qui le sait ? –
S'est
Voluptueusement repu de la plus chère
Chère.
Mais, las des rares mets, dégrisé des divins
Vins,
Ce roi – semblable au fier monument qu'un ver ronge –
Songe.
Il songe qu'il s'ennuie, au fond… Et ce puissant
Sent
Quelque chose échapper à son pouvoir suprême.
Blême,
Il erre ainsi qu'un spectre au fond de son manoir
Noir…
En sa chair paresseuse une secrète entraille
Raille
Tout ce qu'il prétend être aux yeux du peu qu'il est :
Laid,
Lâche, cruel, malade, abject, mortel – en somme,
Homme.
– Regarde-toi… murmure au roi l'obscure voix.
Vois
Comme, sous le fardeau des ans, même un monarque
S'arque ;
Vois comme, sous le poids des pourpres, des velours,
Lourds,
L'échine des puissants, sans valets et sans aide,
Cède…
Oui, roi : tu coucheras en ton royal linceul
Seul.
Toi qui brilles au trône, on t'en verra descendre
Cendre,
Poussière, atome, point fuyant, évanoui…
Oui,
Roi : tu devras, si haut que le sort te fît naître,
N'être
(Pas même une ombre, moins qu'un souffle aérien)
Rien.
Ecoute… Ecoute, ô roi, car l'heure où tout frissonne
Sonne.
***
Insondables et noirs Enfers, silencieux
Cieux…
Enigme que le Sphinx, paupière à jamais close,
Pose :
Roi, connais-tu l'effroi ? L'insoutenable effroi ?
Roi,
Tu l'ignores… Tu crois, jouisseur, lascif, ivre,
Vivre,
Vivre encor… Crois-tu, roi, qu'un roi vive à jamais ?
Mais
L'homme, élevé plus haut, de plus haut en sa tombe
Tombe.
Où ? Qui le sait ? – Le prêtre, inévitablement,
Ment ;
Et le sage, aussi loin qu'il espère ou redoute,
Doute.
Tu demeures, devant cet éternel Pourquoi,
Coi ;
Ta crainte est toujours neuve et ton peu d'espérance
Rance…
Roi, tu te sens, aux yeux de ce vaste inconnu,
Nu.
***
Quand un mollet vivant, trop près du sombre espace,
Passe,
Cerbère, triple chien des portes de la mort,
Mord.
Nous, qui ne savons rien, savons cette morsure
Sûre…
Humain, l'heure est venue, et tu n'as plus le choix :
Chois.
L'abîme est devant toi, gouffre que l'ombre affreuse
Creuse ;
Ecoute du néant les muettes clameurs…
Meurs !
***
Ô profondeurs où l'œil, quand il se penche et scrute,
Chute !
thibautg
Inscrit(e) : 27 mai 2009Hors-ligne Dernière activité : févr. 17 2010 09:43