Autodafé.
Un jour il brûla ses 300 livres,
sa chair de papier .
Le matin s'attardait au solstice,
le bûcher fumait de vieil encens,
et âcre parchemin sacrifié
le vélin sentait la bruyère ,
Ailleurs les runes brisées par l'airain
faisaient table rase du passé ;
le savoir vivait son funeste destin,
l'encyclopédie transmutée en lumière,
les pages du Larousse en perdaient leur latin.
Dans cet excès d'ivresse l'érudit chassaient ses vieux démons ;
le bon vin n'avait pas réjoui son cœur d'homme .
mais bien aboli la Somme
qui, lente, assombrissait le ciel,
de ronds de fumée.
Le Temps s'arrête sur l'étagère ,vide de tout savoir .
Entre les artefacts flottait le parfum de fleurs fanées
et d'impressions premières.
Erasme,Diderot et Homère jetés en pâture aux flambeaux ,
la ferveur littéraire, les vers de Victor Hugo
mais aussi La Bruyère,Ronsard,Montaigne et Marot,
devant la foule sans remords.
Pas de regret après ce festin où ayant dévoré la tripe livresque,
la flamme rédemptrice fondait un monde nouveau.
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Les plus belles pages avaient un parfum d'exil .
sans doute aurais-je dû rester en mon village,
près de l'âtre,
ou bien revenir comme Ulysse après un beau voyage,
Pourquoi tant d'efforts
si lire en nous mêmes
nous épargne le voyage sans cesse recommencé,
où s'épuise le corps,où s'enlise l'esprit..
Plus j'apprenais et moins je savais
et un jour vint le verdict de l'insignifiance ;
le colosse aux pieds d'argile s'effondrait emportant avec lui
jusqu'au savoir d'Alexandrie,
les tablettes de Mésopotamie,
les cartouches du Nil
les runes de Scandinavie,
les cunéiformes vestiges des passions humaines ;
La grammaire Kechwa me renvoyait aux Andes,
le Maori aux antipodes
le Breton se perdait dans la brume des landes
le Thai ou le Nepali dans l'encens des pagodes ;
Déjà sur ma tombe fleurissaient les kanji
au temp des cerisiers sur le mont Fuji,
Confucius et Mao me traitaient d'idéogramme,
Cyrille près du samovar ,de trop faible femme ;
les autres langues coupées gisaient dans un cratère,
avec le grec déchu au cœur des ruines de Rome ;
le Suédois ancien gisait sous la neige,
Pourquoi Shakespeare en son mal-être
augmenta-t-il mon ire,je ne saurais dire,
je me reportais sur le Magyar et peut-être pire,
le Hindi,le Basque,l'Italien en Bergamasque,
la Lusitanie ,au Portugais mettait le masque
et , traduit en gothique,le chant wagnérien ,
enfin dans un port ibérique j'étanchais ma faim .
Je voyageais par le truchement des portulans,
des colonnes d'Hercule jusqu'au Groenland
et poussant l'aventure aux indes occidentales
dans le sillage de Colomb,les rives tropicales
m'ouvraient leurs bras dans tous les récits ;
Vasco de Gama,Magalhaes, les conquérants
gonflaient la toile de mes voiliers blancs
qui à bâbord amure longeaient les rives vertes
d'un nouvel Eden peuplé d'Eves offertes
à la concupiscence de l'ancien monde ;
L'imagination lançait mes chevaux
vers des cultures dont je démêlais l'écheveau,
des paysages où l'horizon fuyait sans cesse
des pays où l'on célèbre la paresse
dans un hamac près de l'autel ;
là où les filles si belles
roulant des hanches retiennent le marin
par un collier de coquillage de l''atoll corallien .
les plus belles pages avaient un parfum d'exil .
Rêves et illusions perdues
tristes tropiques,civilisations en déclin,
toutes pages lues,
à l'aune du voyage que reste-t-il
de nos amours et aventures vécues ;
le souvenir futile
de belles couleurs,le parfum et
une photo des îles ;
A quoi bon la connaissance
si depuis ta prime naissance
la fuite en avant te livre
derrière le paravent du livre
aux plus grands tourments,
au savoir de la fin, sans en connaître le moment
mais dans la pleine certitude qu'elle advient .
Et voilà presque la fin
et ce dernier matin
en autodafé
je brûle un peu de moi
gardez votre émoi
ce n'est presque rien.
Août20 jf