Les féeries de PAN
J’herborise à tout va, dans les sous-bois du vers
Et me laisse guider par les papillons verts.
La dent-de-lion surtout aiguise mon instinct.
Je ne déteste point le laurier ou le thym.
La narine en alerte, il me plaît de sauter
À pieds joints sur l’humus ou de gaiement conter
Fleurette à la prairie qui pousse par chez moi,
Provoquant sur ma plume un friselis d’émoi.
L’achillée millefeuille est un gâteau de roi
Que je mange goulu, sans peur non plus qu’effroi.
Le botaniste en herbe a un amour secret
Pour le pistil farceur, au chatoiement discret ;
En satyre indécent, debout dans ses sabots,
Il nargue gentiment ma Vénus aux pieds bots.
Son œil émoustillé se gargarise, obscène,
De ce que la Nature a jeté sur la scène
De nappe de myrtille et de tablée florale.
On dirait que des fées entrent dans la chorale.
Oui : l’adonis d’été et le coquelicot
Dont le parfum céleste au ciel se fait l’écho
Avec grâce et bonté me tendent leur pétale
Que je baisote, ému, alors qu’au loin détale
Un lapin de garenne éveillé de sa sieste.
Mon âme à tire d’aile, empli de l’air agreste,
Se grise de son vol auprès de la gentiane
Qu’émerveillé d’amour, visite un noir lucane.
Verdissant le talus, la feuille d’agrimoine
Lance sa hampe jaune au cou de la cétoine
Qui bourdonne dedans avec des reflets d’or.
Or n’est-ce point là PAN ensommeillé qui dort ?
Dans mon herbier joli, je glisse quelques fleurs
Mais déjà regrettant leurs indicibles pleurs,
De remords je me mords la lèvre que j’ai bleue.
Puis oubliant ce mot, je cours toute une lieue
Humant tant que je puis les senteurs enivrantes
Aux pavois affolants des rouges amarantes,
De l’euphraise des bois ou du bugle des champs.
Sans mollir du talon, moi j’entonne des chants
Pour célébrer le Dieu qui fit la ciboulette.
Et c’est d’ailleurs ici que je place boulette
Qui rime élégamment avec sa sœur plus haut.
Mais pour faire bon poids, n’y faut-il un pavot ?
Le répons du colchique amène le sermon
Volatile de l’aïl, qui braille à plein poumon
Sa note symphonique, olfactive, épicée.
Satisfait de la messe à la ronde énoncée,
J’imprime en mon élan une cacabriole.
Le cabris de ma joie gambade et caracole
À n’en savoir que dire. Au hasard des sentiers
Qui serpentent en rond dans les bourgs forestiers,
On croise quelquefois du vulgaire chiendent,
Ou bien de l’herbe à chat, qui tiens ! s’y fait la dent.
Gare aux pieds-de-mouton et aux vesses-de-loup !
Il faut souvent chausser un microscope flou
En guise de lunette afin de voir la bête
Au milieu des bolets qui grimpe sur leur tête.
J’en ai pris mon parti : ma folie est au pré
Où gazouille un zoziau dont on s’est bien marré !...
Pourvu que la jonquille, en accord avec toi*
Ne détache sa quille, et qu’il me reste un toit
Pour abriter ma serre aux vulpins amoureux
D’une blanche pensée qui les rend bien heureux,
Pour rehausser son teint, j’y mettrai trois soucis
Avec du cerfeuil d’âne et des radis rassis !...
Le doux rhododendron, dans une jardinière,
Éclate de couleurs pour l’ode printanière.
Attisant mon désir de me ceindre de vigne,
Le long volubilis allonge en moi sa ligne.
Surplombant mon balcon, un cyclamen disert
Cause avec quel entrain des plantes du désert.
Je convoque la thyrse et le grand muflier,
L’aiglantine et l’églantine, le néflier,
La vraie bourse-à-pasteur, la bardane poilue,
Le myosotis si gai, ô fleur divine élue,
L’amourette commune et l’arroche couchée,
La fausse laiche aiguë et sa beauté cachée
Dans une herbe très simple ; ajoutons la bourrache
Qui de la vache aux yeux très pensifs s’amourache ;
Un cheval s’extasiant sur du crin végétal ;
La ciguë poétique et des choux à l’étal ;
La centaurée jacée, l’amère chicorée
Que dame création de fruits a décorée ;
Le cresson de rocher, le crépide de Nice
Qui de jaune se vêt sans le moindre artifice ;
Puis couronnons le tout d’un bouquet de pivoine
Égayée de quelques tiges de folle avoine,
D’une syrinx nue et de pois de senteur :
Et voilà mon tableau assez haut en couleur,
Quelque chose de snob, en plus d’être élitiste,
Pour la revue Revu. Si le ton fantaisiste
N’est pas pour vous déplaire et qu’il vous reste un coin
Où mettre en son sommeil, les féeries de PAN,
J’en serais fort heureux ! Bête à bouffer du foin,
Ma pastorale osée voit arriver Panpan
Qui lutine une fleur ; un satyre en pourpoint
Ainsi qu’un vert galant, prend ma gerbe de vers
Et s’en coiffe le chef. Il lève une main vers
La muse qu’il attend, mais qui ne l’attend point !
Ondulant de la croupe, au détour d’un bosquet,
Une sylve étonnée fait cligner son quinquet...
Si bien qu’un ronflement attire notre cœur
Vers le coussin de mousse où pionce le dieu PAN,
Et qu’à se réveiller mettant un point d’honneur,
On le voit s’étonner de l’ardeur de Panpan !
Sur ce, ma farce est faite et je souhaite bon vent
À ceux qui me liront, ayant auparavant
Planté sur le chemin leur borne sémiotique,
La distance et le sens dans le champ sémantique !
Je vais finir d’un mot pour vous dire combien
Je me suis amusé à folâtrer au bois
En compagnie des mots ainsi que le grand bien
Que m’a fait votre appel à textes. Car parfois,
L’humeur revient d’écrire, on ne sait trop pourquoi ;
On regarde la flèche en son vide carquois ;
L’humour noir disparaît au profit d’une cause
Qui, tout soudainement, à vous-même s’impose.
Si vous me publiez, je ferai mes débuts ;
Je me flatte déjà de me fixer des buts
Qui renouvelleront ma sombre poésie !
Puissiez-vous apprécier ma propre fantaisie
Et faire qu’un lecteur me découvre, curieux
De la forme d’antan, qu’un honneur à mes yeux
Consiste à retremper dans le verbe du temps.
Sur ce, bonne rentrée ! Au plaisir de vous lire !
Ma révérence artiste ici même je tire ;
Je vous prie d’agréer mes saluts épatants
Jusqu’à plus ample choix parmi les sentiments
Qui baigneront ma plume, au moment du retour
Que vous m’aurez donné quant au délicat tour
Des espiègles visées, qu’à la façon d’aimants,
Je mets en mes façons champêtres de poète.
Puisqu’il faut bien finir, en imitant la chouette,
De mon nid de coucou, j’avise le hibou !
Du haut de ce grand chêne, une flûte de Pan
Égrène sa musique : au dieu qui fait le paon,
Des sylvains endiablés répondent de leur “bouh !”.
Et pour ma part heureux que tout cela finisse
En chansons, je grignote un bâton de réglisse ;
Il ne sera pas dit qu’à cheval sur mes rêves,
Je n’ai pas effleuré dans les branches des sèves...
*Je parle du lecteur, ce héros d’aujourd’hui