Aller au contenu

En hoir de Loup-de-lune

Inscrit(e) : 02 avril 2020
Hors-ligne Dernière activité : mai 24 2022 03:25

Publications sur Toute La Poésie

De La disparaissante à Élévation

27 mars 2021 - 12:04

La disparaissante


du vaisselier qu'elle entrebâille
croît une ogive s'injectant de silhouette

lucarneau de la jeune vivante
sur la théière couleur de boucanée

arc et spirilles violaçant le charme
une fleur s'élonge au flanc du drageoir

de la pérenne absence des parfums
s'oignent les attentes magiciennes

avec le cordonnet d'ambre flué
quint de l'andante en promesse

elle passemente le geste de cueillir
pendant les flagrances d'une promenade de porcelaine

et pour le corps qui rompt avec l'annuité
pour le sang retourné au météore

parmi la sépia polysémique du reflet
elle épanche le paroxysme du congé





Collapsus


avec ce frein des cartilages
qui eurent reçu un artiste laps
à nouveau est émise la nudité
de l'enveloppe s'abluant

étourdir élit un battement
la couleur submerge
ses loups


Sa part d'insurrection
lui consent encore ce démiurgonyme d'Undafer

l'arcure plurielle du flux bouillant
inépuisable voeu immanent à la percale de paume

d'une lente horizontale
sur un retable enfin qui a coulissé
elle aquarelle de fugaces méduses d'eau
parmi pluiante une sonorité de carreaux

grènetis de bleu seuil hémibouclant l'albe effoison

poix kaki où s'agglutinent les quadrilatères

tentaculaire safran délavé de l'électrique ophtalmie

incarnat en plein chagrin pour que lune un plus vrai risque en fanal



Et la somme du tréfonds frappe


sous la fixité vestigieuse des jambes en arches
la transparanéité de l'ininterrompu
va assimilant cette ovale lamelle du savon
que l'expir a paraphée d'une éclaboussure





Perrault perpétuel


un ovale d'eau encristale la nudité

comme sombrent
comme reposent
ouvertes les mains minimales

l'abstruse gestuelle
se disperse

la lamelle du savon
fleure un végétal à réinventer

l'éclairage s'étant lassé
son reliquat atermoie dans les délicatesses de métal


il a semblé qu'un déchiffonnage de papier
préludât au conte du boîtier

ahane la musique
du ballet
les voix débonnaires
et fées relaient


S'endormir
incidence de la meurtrissure promise par le fuseau

un sfumato alite
oiseleur de bleus amuïs


Un secret
sur les lèvres
enlumine
son effleurescence

redressé
son rough
le corps
ruisselle

et sur la buée du miroir
échange son entier reflet
contre cette arabesque d'une fugacité de prince





Et lui offrir un luisel


Sa proposition musicienne
tréfila l'air désencombré

en noire sur l'obstacle vaste
il solfierait l'embryon

rayons d'un est cloisonné
des portées jaillissaient
et s'éteignaient

l'accord des angles mitoyens
commençait la lyre et son négatif

avec son hoirie de bourdonnement
le rouge chantourné des règles
revint obliquer dans les voilages escamoteurs

quand toute l'impéritie fut exprimée
par le horion
le néant de la trace épigrapha l'imagier


Allumé le safran
et la cascatelle du linge
qui saumone son humidité léoparde

leurs reflets parsèment
les circonspections du métal et de la céramique

affûteresse pour les ongles
la dépouille
descend
lente

trop puissant d'abord le flux de l'eau
puis outre le dépit du tourbillon
par degrés cette minceur flûtescente
aux fins de ravir un brin d'ailes
élucidant le tremblé de sa clouure astrale





Survivance


les ignorances
de la tuile épointée

les impasses bleues
d'où retourne nébuleuse
l'orpheline d'ange

claires
les fumées capricantes

réunie à la victoire
la parcimonie floconne

et il vient des mains de quintessence
pour défleurir l'ubiquiste tapisserie

ne laisser au sortilège des parois
que la gerbe vastement éparse
de la contredite funéraille





Musicaline


découpé dans l'aisceau
un bestiaire acajou
avec le dragon sentinelle
dont les abiès aplombent l'haleine ignescente
avec une goutte de soleil
que le deuxième brin de sol
n'en finit plus d'instiller

arachnéens
les ajours disséminent
un infime tremblé de cordes de lyre

à travers les heures lentes
avec des sons secrets d'étoile
une à une les notes blanches
se détachent des corolles

qui vont par-dessus le rose adamantin
s'inclinant vers l'orphée continu





Les essors polychromes


d'une étincelle encore
que la berlue stellée fit mutiner
l'ovale de métal
parachève son appointie

insiste fée le geste d'étisie
pour éveiller au transfixement
le discoïde qui s'acharnait au café

une divise vapeur
signe une épure de l'âme

néocylindrant la tasse laiteuse
dans l'acmé de l'arôme
sa plurielle saigne

en oiselles

nuées de phantasmors et d'azurines
d'orangés et de roseurs
de systolangélites et de noirs
et de bruns que ramesce un risque d'améthyste

sporade reliquaire des dictames thaumaturges





Élévation


toutefois aux lèvres du voeu
l'énigme de la survivance
n'avait laissé qu'une vaporeuse lettrine...

ces mains en javelles
jusqu'à l'exaucement
qui ouvre une pulpe encore

dans la faim de cristal
dérougit un organisme nouveau

à l'orphelinat des soupirs
le zéphyr vient se désavouer

appuyé contre la lumière verte
où s'assimile un tremblé d'azur et de tuile
s'aile le rose des épanouies

sur le bord de la fenêtre
un instant triste
l'écorce éparse parodie les nuages

mais le parfum sachant mourir à sa sanguine
lesté de la seule exultation d'Homme
déjà touche aux métamorphoses
où se distribue le reliquaire d'un soleil


𝙴𝚡𝚝𝚛𝚊𝚒𝚝𝚜 𝚍𝚎 : Poèmes 𝚍𝚎 𝕃𝕠𝕦𝕡-𝕕𝕖-𝕝𝕦𝕟𝕖 / 劉 碧峥

Tous droits réservés

Traversantes sur la mer poème

05 juillet 2020 - 03:55

Nous offrons aujourd'hui aux lectrices et lecteurs un florilège de poèmes, soit le premier et le dernier du recueil de Loup-de-lune, intitulés "Traversante" et "mer noire", accompagnés de douze témoignages qu'une vie d'écriture est cet ardent chemin qui reconquiert de pas en pas comme de mot en mot la parole communiquant avec l'âme soeur déjà passée dans la chambre d'à côté. Et souvent le feu y claire bien plus qu'il ne consume : "le même parfum descend des porte-bouquets de l'espace insensé/où le feu imitant mes fièvres te fit impondérable" (L'absence) ; "Qu'être par-delà le feu si prompt à cendrer tes affres/sinon ce diaphane visiteur des flambeaux submergés ?" (Les Mondes perdus : à la recherche de Mademoiselle LIN II - La cité des Lions) ; "De l'urne inclinée soudain/par ces mains aériennes à suppléer l'éther/s'épancheraient tes cendres/sans rien ombrer de l'ardeur bleue des lavandes/elles se fondraient dans le sud que nous frayâmes/oh ! cette incandescence du souvenir impuissante à les joindre" (La calligraphe) ; "sitôt que de l'incandescente asymptote/s'évade un inane et jaloux éclat" (mer noire)... Oui, "Du feu que nous sommes" ainsi que l'évoque le titre d'une anthologie qui réunit des poètes contemporains du monde entier et qui nous a été si essentiellement offerte... Nous recevons leur parole nombreuse, leur voix plurielle, qui nous répondent comme Leandro Calle : "La gorge de feu/fait danser les feuilles./Quand tu te tais/combien terrible est la nuit." ; qui nous perçoivent comme Esther Salmona : "un rouge un grenat une profondeur/en périphérie un cuir revient/épanouissement synaptique/reconquête par chevauchées simultanées" ; qui nous appellent comme Étienne Paulin : "Ô cimetières/où vivent des musiques" ; qui nous comprennent comme Aymen Hacen : "Des roses et des montagnes titre me dis-tu/D'un recueil que j'aurais écrit dans ton sommeil/Ou était-ce dans un rêve de toi vêtu ?/Aussi de moi rêves-tu ? Vivement l'éveil !"... La page de dédicaces du recueil "Poèmes de Loup-de-lune" n'oublie aucune des "ardentes argonautes de la mer poème"... mais c'est Mademoiselle LIN qui ne manque pas d'ouvrir cette page... Et nous aimerions demander au ciel de tempérer un peu la puissance de ses arcanes, de nous souffler au poumon suffoqué un peu de l'élucidation des grandes douleurs, de nous dévoiler un peu plus la vasteté de sa mystérieuse mosaïque tandis que la tesselle nous bornant tressaille de tout notre humain appel, puisque ce même extrait d'une chanson de Francis Cabrel voulu alors par Mademoiselle LIU pour Mademoiselle LIN, pour Linfabrice, pour Meilihua, nous ne pouvons que le vouloir à notre tour aujourd'hui au mot près, d'un été à l'autre et de tout notre esprit et de tout notre corps et de tout notre coeur, pour Mademoiselle LIU, pour Loup-de-lune, pour Bizheng :


Tu viendras longtemps marcher dans mes rêves
Tu viendras toujours du côté où le soleil se lève
Et si malgré ça j'arrive à t'oublier
J'aimerais quand même te dire
Tout ce que j'ai pu écrire
Je l'ai puisé à l'encre de tes yeux







Traversante



avec l'ombreuse étoffe qui divise

la béance de l'épicerie

bombe le rose

mystifiant le degré de l'effaçure



la robuste mémoire

confirme sa carène

et l'houache staminée



des corolles

enfuies de la cueillaison argonautique

muent le naufrage en jardin



entre les colonnes du pavillon

la quintessence de l'escale

grâce au rosier s'ogivant

et l'île déborde le fugace et le récrée



de turbides débits

embouent et ambrent l'inépuisable de la mer



et cette passation d'inconnus au marbre noir

cette proue calligraphe afin que ton nom se dore

qu'y pourra l'ancre pétrée

qu'ayant ouvré la symétrie des rugisseurs

perla le rite éploré ?...



si des mains étoiles

les surmontent encore de leurs bouquets hissés

dans la risée viride d'outre-chair



***



L'abîme des anges



Dans la presqu'ombre de la chambre
parmi les florilèges partagés
ils parcouraient du regard
le firmament de nos silences
leurs ailes qui s'éployaient
passaient la porcelaine
le distant abat-jour
s'y réfléchissait en brûlements
attachés aux cires de nos confidences
dans les plis de leurs tuniques
reposait l'obscur
et des notes
élixir des amants
perlaient à leurs cithares
sous les doigts diminués sans nulle meurtrissure


De la voie d'un ancien bisse fabulée par les neiges
tu es entrée dans l'abîme

ton risque avait suspendu notre complicité
mais tu me reviendrais
avec le poème du preux

qu'elle fut d'outre-sanglot la phrase du téléphone
en laquelle se condensa le héraut funèbre


Par-delà coutures et baumes
par-delà portraits au violoncelle
par-delà blanc cercueil et corbillard
cendres et lavandes épousées
mes pas plagiant tes pas
sur l'ancien bisse
tout à la glace étrange de l'été
j'ai grand ouvert le coffret laqué
précipité les anges

descendre encore
et encore
coeur vertigineux
ravin des moelles
profonde la douleur
profonde
jusqu'au mystère
l'essence


Et cet enfantillage entêté
à muer le bibelot
en vol tutélaire
sa flagrance fragile
en essor

et s'il advient
qu'une manière de brisement
m'environne avec insistance
je crois à l'intime visiteuse qui
derrière l'ondulante féerie des rideaux
arpente entre roses et lune aqueuse
le gravier du jardin



***



L'absence



I



Le simulacre de poignard et de cimeterre

chaque trait jusqu'aux plus effilés

se résolvait en ton poème

il ne vint plus que l'eau des prunelles sur le papier de riz

avec sa transparence pour le bûcher des encres

et la dernière feuille a neigé de mes mains sans printemps



puis le grand pays blanc

où je la rêvai ubique

exténue mon vagabondage



la conviction du chemin

repose

profonde



pour doubler désormais mes empreintes

voici vaporeux mon pas seul qui retourne





II



Ce vieux banc de bois réappris par ma halte

un souffle des nourritures en sommeil

ou la bourrasque fortuite

et l'arbre qui le côtoie s'éparpille

en prosternant ses roses faîtières à peine divulguées

ma rémittence habite son calque de pétales



toutes paupières ignées

soir après soir

les soleils fabulent



à l'étal de ma patience

la criée

du fruit



que nul partage n'attend sur la table

où mes mains récoltantes le glissent





III



Quand je m'éprouvai entre le ciel et le champ

comme un funambule d'éther

sur la ligne séparant leurs bleus symétriques

j'inclinai l'urne blanche

et tes cendres qui linéamentaient un phénix

touchèrent au firmament des lavandes



puis s'y étonner encore une fois

toute une après-midi de sud

et de serments sans inflexion



d'un ruban de toujours

je noue

ma pensive cueillette



le même parfum descend des porte-bouquets de l'espace insensé

où le feu imitant mes fièvres te fit impondérable



***



Les Mondes perdus : à la recherche de Mademoiselle LIN


Prologue


Pourtant pas un de mes mots qui n'invoquât ta survenue

et le son mûr recomposa toute une porte à rouvrir
or de ma main vaste par la tienne rejointe
le poème interrompu s'emparerait furieusement

quand te diminua le pronom qui te réverbérait dans mes pages
tu t'en allas mêler à ton désarroi les abrupts
et mon poème toujours te méconnaîtrait dans l'abîme de neige

mais parmi les cités sans âge que les mers ont ravies
parmi les étranges et belles images de leurs découvreurs
tu reparais et te réconcilies avec le poème

pas un de mes mots qui ne change ta mort en voyage abyssal


I - Heracleion


Comme un grand fanal d'art le port sombré m'oriente

s'est achevé là-haut le pesant de ma discordante chair
et la mer me dévale dans ses aubes virides
qui ravivent l'imminence de ta silhouette

de la pierre ouvragée jusqu'à l'image d'un dieu
croît un regard où s'ovalisent les millénaires
ma couleur y vient lente et pure comme la patience à la patience

d'une telle destination mille bateaux immobiles
le féerique capharnaüm du bestiaire des proues
mon amour y dissipe toute fièvre naufrageuse

et la rue noyée qui n'a plus de nom sera pour ton pas retournant


II - La cité des Lions


Qu'être par-delà le feu si prompt à cendrer tes affres

sinon ce diaphane visiteur des flambeaux submergés ?
tout respir suspendu dans la ténèbre plurielle
se refermait déjà la chambre idolâtre du poème spoliateur

mais aux lueurs s'échelonnant est distancée l'impénitence
et prodigue de nautiles fabuleux le pardon
fulgure comme un rugir clair le long du palais fauve

renoncer transvide la quête dans les grands lions qui rêvent
ils ont des proies suffisantes toujours
en la fluidité musiquante de leurs ombres

où revient puiser le jais si doux de tes cheveux


III - La pyramide de Yonaguni


Franchis les cimetières apétales de l'oubli déjà s'épand

la mer des ciels fabulant à l'entour de l'étoile séculière
la grâce qu'ils coulent dans leurs déclins ressource mes prunelles
approfondit la présence dans le filigrane des esplanades colosses

mille rocades mutiques pour s'étonner de concert
le brûle-pourpoint des marches en manière de faille
où tomber et gravir ne sont qu'une même retrouvaille

ainsi se pérennise notre sentiment nomade
de faune et d'ineffable l'espace recompose les angles
et sur la pierre infinie des puissantes fois antiques

tu m'apprends encore à déceler les fleurs qui vont abrillant nos mains


IV - Pavlopetri


Les vitrines thaumaturges auraient beau multiplier les milices de l'effacement

me portait la grande erre encline au rivage
m'entraînait l'imputrescible musette de pensée
vers les quiétudes des eaux artistes

passeur des serments rescapés voilà l'oeuvre des tréfonds
cette promenade de silence entre les colonnes toutes franches
ce mur fol désirant la méticuleuse aire de notre concorde

puisque parmi la merveille ruiniforme des quotidiens
parmi les tombeaux que tenturent
des jaillissements d'argonautes il m'est rendu

de te regarder dormir dans le poumon versicolore de l'éternité


V - Port-Royal


Flibustier de ta candeur mon poème intempérant

aura vécu son séisme et la division de sa pléthore
ainsi l'absence réputerait la mer seule pour image
sa geste originelle qui débâcle les convictions

les manuscrits noyés ressourcent l'encre ogresque
à l'humblesse des degrés un astre vainc par les cornes d'un taureau
mais quel élan pour obvier à mon pas d'altitudes altéré

l'arcane du profond collige des tablettes
mais quelle voix pour chanter le charme des signes...
or figent parmi l'erratique butin des poissons-gemmes

ces purs yeux me sachant jusqu'au battement prime


VI - Le Conestoga


Les radians de mon deuil se démesurent dans la mer

j'y respire par les mots qui découvrent les épaves
et les aiment assez pour dire leur beauté neuve
la bouquetière du temps qui les apothéose

de la prairiale quille et des passiflores du beaupré
de la trace vocalique où va germinant un nom
s'exhale l'esprit du voyage

d'amples inconnus comme l'épiphanie des voiles
des carnations fulgorées comme un équipage à l'improvisé
et cette intègre ardeur à seule fin de lever l'ancre

le silence serti du poème qui pointe ton atoll


Épilogue


C'était ta tombe et mille siècles avaient coulé

c'était ta tombe myocarde des mers battu
et radieux de vivants inouïs et de lexèmes recréateurs
c'était la calligraphie d'or où chuchote le recreusement des abîmes

la féale entrebâillure de la pierre noire
et la volute céruléenne de ta cendre qui s'enfuit
pour exaucer ma prière atemporelle

j'accrochai là le vieux gâchis tenace
avec toutes les solitudes et toutes les angoisses...
jusqu'à transfigurer la franchise du poème en mon corps qui s'allonge

renouant avec l'exquis de tes épaules sommeilleuses



***



La calligraphe


De l'urne inclinée soudain
par ces mains aériennes à suppléer l'éther
s'épancheraient tes cendres

sans rien ombrer de l'ardeur bleue des lavandes
elles se fondraient dans le sud que nous frayâmes
oh ! cette incandescence du souvenir impuissante à les joindre

mon reflet pulvérisait tous les miroirs
les yeux chers parcellisaient leurs candeurs
et le papier de riz éperdument neigeait la saison de l'absence

j'ai eu si mal
de demeurer
et les vadrouilles
m'ont gîtée

tous les traits
de mon nom
éparpillés
mais s'en saisit le poème que tu aimais

si long temps de pierre sans eau et de feuille blanche
si long temps d'encre que n'émancipe pas son broiement
et de pinceau orphelin des forces exactes

il y a tant à réunir pour se résoudre en geste
les tressauts du myocarde broussaillent les tracés
et l'accolade des langueurs enserre l'équilibre

pourtant, mon amour, à ta voix qui s'escrime à poindre
il monte comme une évidence de ciel
derrière le dragon gauche



***



Partage de l'arc-en-ciel



La neige oblique exagérait
reblanchissant toujours
le courbe sillon de vitre
supplié par mon gant
pour revoir le rose et l'or
sous lesquels s'étendait ta dépouille

où le corbillard s'évanouit
convergeait la cité de flocons

soustraite fantomale à la collation des autres
j'ai cherché un chemin insolite
une venelle encline au vague du sang

mes repères mes axiomes
mes écoles mes étais
la polychromie de la mémoire
dans le creuset de la déréliction,
j'écoutais le soliloque du sombre


Avril sur les éreintements
revint ruisseler
et chaque goutte réfracta la lumière
à l'aune de ma propre dispersion

par cette même effervescence
qui t'avait fait ouvrir ta maison
à l'étrangère filoutée
et déployer tes nourritures
sur le grand lys de la nappe
et border le lit frais
parmi les candeurs de la chambre cédée
par cette même munificence
l'arc septuple se partageait

violet rendu à la laine de la couverture
minutes merveilleuses des sommeils coïncidés

le signet du florilège retrouve l'indigo
le long duquel un poème mire les amants dans sa licence

le bleu retourne à l'encre des billets
et aimer enlumine le manuscrit des bagatelles sacrées

au seuil de la gare ton bagage fige cette restitution du vert
et par-dessus, l'un pour l'autre, nos tout premiers regards

avec le cerf-volant sur l'allégresse de Zhoushan
renouent les arabesques du jaune

grands rideaux fermés qui vont se rallumant
aubes et midis s'orangent en nos paresses impeccables

le foulard sur ta gorge refait son beau nud de rouge
cependant qu'à travers décembre se réunissent nos mains

lent effacement de l'arc
prononciation sidérante
de chaque souvenir


Ô jardin !
aux confins de l'éperdument de la vagabonde

on s'y divertit dans un silence essentiel et ravissant
on y tourne un jouet
disque blanc
qui ralentit
jusqu'à la réapparition colorée de sept angles égaux

à l'émerveillement des enfants
au recommencement du geste menant des couleurs
au blanc

du blanc de la neige
à l'ombre du soir qui borne
j'accepte le charme impérieux des métamorphoses



***



mer noire



aux hublots de sa chambre sélène
s'étrange le lacuneux gemmail des déclins

à mi-décroît du feuillet sidéré
comme la drisse l'immunise
risqueur du virtuème qu'envergue
une immaculation de paroleur
alluder désamarre

et confluent les libations des obscurs
vers l'énigme qui source le large

au gré des boras amnistieuses
les promontoires porphyrisés
transmuent le soupçon d'étoile
et les portulans imagent les essors
s'éteignant d'infini

en faveur du succinct qui la gîte
houle décerclante l'encre traversière

et du moindre rai d'élucidation déictique
réputé un abord

sitôt que de l'incandescente asymptote
s'évade un inane et jaloux éclat

et pour chaque fanal perlier
pleuré par l'inatteint

pavillonne un peu plus pélagique
le poème du silence


𝕃𝕠𝕦𝕡-𝕕𝕖-𝕝𝕦𝕟𝕖 / 劉 碧峥

Et lui offrir un luisel

02 juillet 2020 - 03:13

(Notes : 1. Très vraisemblablement notre poème préféré de Loup-de-lune... Pourquoi ?... Existe-t-il des réponses à ce genre de pourquoi ?... Existe-t-il des pourquoi dans cet exercice de "lire le poème", mais le lire vraiment, non superficiellement, non en l'ombrant de nos attentes, de nos demandes, de nos classifications, de nos certitudes qu'il lui faudra rassurer, mais lorsque la plus belle, la plus sûre des interprétations est encore la lecture sincère, "à haute et intelligible voix", par l'autre entièrement disponible pour le texte tel qu'il est. Nous pouvons reprendre ici la réponse que fait Montaigne au sujet de l'amitié qu'il éprouve pour La Boétie : "Parce que c'était lui, parce que c'était moi !"... "Parce que c'était moi, parce que c'était elle !"... Parce que nous retrouvons dans le poème "Et lui offrir un luisel" comme le compendium de tout ce qui est cher à l'écriture de Loup-de-lune : le motif de la musique que s'ingénient à faire les mots choisis, parce que le son devient sens, et nous précisons que "noire" au vers 3 est le substantif "la (note) noire" ; les angles livrés à la phantasmagorie des visions leucémiques, et qui s'ouvrent, qui se déchirent, qui libèrent, qui explosent leurs bornes apparentes en cornes d'abondance _Nous avons parlé plus haut de "lire vraiment le poème"... bien que nous ayons vécu tant d'années auprès de Loup-de-lune, bien que nous la connaissions depuis si longtemps et que le point de départ de notre rencontre et de notre amitié soit la lecture transportante d'une anthologie de ses poèmes dans une revue littéraire de Suisse romande, personne, nous disons bien personne n'aura su lire les poèmes de Loup-de-lune mieux que la poète boétiane qui l'aura tellement fascinée : "Architecture de frontières, sanctuaire à ciel ouvert et cités englouties. Les vents muets de l'après ont tout minéralisé _statues naufragées, écrans échoués en clarté de limbes. C'est le règne d'une solitude, de l'inaccessible, de l'atemporel. Main en visière, le diagramme mental duplique l'ange l'oiseau, le fruité >>> iconographie de l'enfant diaphane, de l'enfant aiguë, de l'enfant nocturne cristallisé là, derrière cette géométrie d'angles et de vitraux. Douleur marmoréenne du passager brûlant chiffrant l'immarcescible. (...)" (à propos de Loup-de-lune by boétiane)... car voici la genèse des mots affins du langage qui ose "l'Inconnu pour trouver du nouveau !"... Merci, boétiane, merci, vous avez de ces lectures, vous avez de ces accueils, vous avez de ces réceptions qui prolongent la vie corporelle et temporelle, même la plus compromise, oui, vous avez de ces partages, vous êtes de ces attentions qui donnent envie de vivre comme d'écrire, et nous avons vu, nous en témoignons, nous avons vu Leukaima elle-même "se mettre entre parenthèses" et comme douter, en le bienfait de janvier dernier, l'espace de quelques heures aussi littéraires et poétiques que miraculeuses, de son fatal sceptre hématique !... Il y a eu, il y a cette saison de l'hoir... Il y a, il y aura continûment les jardins et les fructidors de la marraine-en-poésie !......_ Parce que nous retrouvons dans le poème "Et lui offrir un luisel" les voilages de la chambre imagière où "les rayons et les ombres" réinventent les géométries ; le safran qui symbolise le sang-lumière, le sang-lune, le sang "îletté d'orange et de soufre", la nuance du sang dévoué bien plus qu'assujetti à la leucémie, et dont le flambeau guide en trobaïrits, en découvreuse de poésie ; le suffixe -eresse, présent dans le néologisme du vers 21, pour marquer une féminité à la fois enchanteresse et majestueuse ; cet autre suffixe tant aimé, tant prisé, tant médité, -(e)scent, dans le mot "flûtescente", au vers 27, pour dire avec le son du sang l'inchoation, le commencement, la progression, la métamorphose perpétuelle où la mort est une nouvelle naissance, et la leucémie d'abord l'albescence ou la lactescence du rouge, et l'évanescence des énergies d'orgueil et de chimère et des épaisseurs d'amaurose ; le vers de treize syllabes "élucidant le tremblé de sa clouure astrale" : si la santé est un alexandrin, la leucémie est un vers de treize syllabes, non pas maladie-maladresse, mais arythmie qui jette les pas dans le chemin ou l'esquif dans le canal vers soi-même ; le passage de la chambre imagière dans la salle d'eau, de l'extase dans le collapsus (voir le poème et les notes publiés dans le salon Sans commentaires le 28/06/2020), de la contemplation dans l'écoulement lumineux... 2. Le titre du poème de ce jour a des airs de clausule, de conclusion... Après tant de moments d'écriture, pour retrouver une parole à soi passant la mutité du deuil, pour créer un langage et recommencer à communiquer avec la voix silenciée de l'âme soeur qui se trouve déjà "dans la chambre d'à côté", pour être une parcelle de la passerelle de ce temps qu'évoque la poète Samira Negrouche : "Si tu savais le temps qui me traverse/pendant que je traverse vers toi", pour peindre, pour enluminer le monde aux "pigments leucémiés", à la lueur plurielle du sang-flambeau, pour bijoutier des objets, des chinoiseries en mots qui ornent le mystère d'être au coeur des métamorphoses... "Et lui offrir un luisel" nous conduit aux funérailles continûment fluentes et scintillantes d'un insecte, de ce "brin d'ailes/élucidant le tremblé de sa clouure astrale", avec lequel Loup-de-lune s'identifie. Le mot "luisel" désigne d'abord la lumière ou la lueur du cierge allumé dans l'athanée à côté du cercueil dans lequel repose le défunt, puis le cierge, et enfin le cercueil lui-même qu'éclaire le cierge. Voilà donc un mot fondamental pour l'univers de Loup-de-lune, qui réunit en ses deux syllabes la mort et la lumière, le rayon et le repos. Les lectrices et lecteurs fidèles à cette saison de l'hoir l'auront anticipé : le mot "luisel" repose sur cette essentielle racine indo-européenne *leuk- "être lumineux, éclairer" à l'origine de "luire", "lueur", "lucide", "allumer", "lumière", "lune", "illustrer", "leucémie"... Nous avons retrouvé en note, tracée en imperceptibles caractères roses et formant des diagonales sur l'une des pages du manuscrit, cette citation traduite d'une Épître du poète latin Horace : "Tiens pour ton dernier jour chaque jour qui a lui pour toi, et tu béniras la faveur de l'heure inespérée." La forme "a lui" est en latin "diluxisse", du verbe di-lucere "briller, luire". Le repos et le rayon, la lumière et la mort... et c'est la leucémie qui fait plus intense l'heure, puisqu'à sa lumière de safran c'est peut-être la dernière heure en cette vie corporelle et temporelle, l'heure d'un poème encore, le plus lumineux comme le plus lucide, au clair de la traversée imminente... Le riche héritage de la racine *leuk- est aussi une clef pour ouvrir la porte de l'oeuvre hermétique de la mystérieuse Loup-de-lune... Quelques-unes, quelques-uns se sont sensiblement aventurés à faire déjà quelques pas lumineux, et même au-delà du vestibule... Nous saisissons l'occasion ici de les saluer toutes et tous encore une fois le plus chaleureusement du monde ! 3. Le filet d'eau devient le cercueil ou le tombeau de l'insecte mort, sorte d'ambre liquide, et les étoiles que les lampes de la salle d'eau mirent évoquent les clous. Alors c'est un cercueil liquide, il coule et les clous ne ferment pas mais ils brillent et ils palpitent dans le tremblé qui glisse vers l'infini en part de l'éternelle métamorphose. Nous avons pensé si fort aux derniers vers du poème lorsque, le 25 mars dernier, sur le coup de 15 h 00, le couvercle du cercueil blanc s'est refermé, lent, si lent, de cette lenteur où vient bivouaquer le miracle, sur le visage de Bizheng... Si fort qu'ils le disputèrent au réel et manifestèrent l'indispensable présence des poètes !... Et c'est la leucémie, dans l'apothéose de ce don de voyance accordé par sa luisance, qui offre un luisel à Loup-de-lune, et c'est Loup-de-lune qui offre un luisel au "brin d'ailes", cet autre soi-même de fragile et d'envol en puissance, et c'est le poème qui offre un luisel, au sens de flamme qui éclaire, à ses lectrices et lecteurs du présent et du futur, de tout le coeur, de tout l'être de son auteure, en quintessence et du fond et de la forme des poèmes de Loup-de-lune.)





Et lui offrir un luisel





Sa proposition musicienne
tréfila l'air désencombré

en noire sur l'obstacle vaste
il solfierait l'embryon

rayons d'un est cloisonné
des portées jaillissaient
et s'éteignaient

l'accord des angles mitoyens
commençait la lyre et son négatif

avec son hoirie de bourdonnement
le rouge chantourné des règles
revint obliquer dans les voilages escamoteurs

quand toute l'impéritie fut exprimée
par le horion
le néant de la trace épigrapha l'imagier


Allumé le safran
et la cascatelle du linge
qui saumone son humidité léoparde

leurs reflets parsèment
les circonspections du métal et de la céramique

affûteresse pour les ongles
la dépouille
descend
lente

trop puissant d'abord le flux de l'eau
puis outre le dépit du tourbillon
par degrés cette minceur flûtescente
aux fins de ravir un brin d'ailes
élucidant le tremblé de sa clouure astrale


𝕃𝕠𝕦𝕡-𝕕𝕖-𝕝𝕦𝕟𝕖 / 劉 碧峥

Collapsus

28 juin 2020 - 03:43

(Notes : 1. À publier, à présenter en ce jour d'été le poème de Loup-de-lune intitulé "Collapsus", une émotion considérable nous submerge... nous qui, avec une telle netteté, nous souvenons de cette grappe de poèmes lus au cours d'un autre été de ce siècle, dans une revue littéraire de Suisse romande, signés Loup-de-lune, nous qui avons sans délai aimé leur "esthétique hermétique", leur musicalité, leur invitation bijoutière au symbole et au mystère, leur frisson d'innovation et de modernité, leur secret de "suggérer plutôt que de nommer", nous qui alors avons voulu rencontrer leur auteur(e) dont la jeunesse nous a laissé(e)(s) sans voix, nous qui avons de la sorte débuté et la plus vivifiante et la plus enthousiasmante et la plus puissante et la plus sincère et la plus indéfectible et la plus indestructible de nos amitiés humaines, rendue chaque jour, chaque heure, un peu plus évidente et robuste encore par les "réfléchissements jumeaux" de la maladie, nous qui avons passé toutes ces années avec Loup-de-lune, avec Mademoiselle LIU, avec Bizheng, en traversant toutes les nuances de l'existence, nous qui l'avons vue au cours de nos atemporelles escapades miraculer des chemins insoupçonnés et épanouir sous ses mains-rayons des fleurs inconnues à même la grise pierre, nous qui l'avons vue faire de la leucémie, d'une part la voie éclairée de flambeaux qui la reconduisait auprès de l'âme soeur Linfabrice, Mademoiselle LIN, Meilihua, d'autre part la trobaïrits, la lumineuse découvreuse de poésie, qui lui aura restitué la parole après la mutité du haut deuil ravisseur de son expression, nous qui l'avons entendue laisser si lucidement le champ libre à la leucémie devant le désarroi médical, sans nulle résignation, sans nulle révolte, sans nulle désespérance, nous qui l'avons étreinte une dernière fois et comme la première fois jusqu'à confondre les turquoises de nos angéiophanies, nous qui l'avons étendue impondérable sur son lit d'agonie aux draps moins immaculés que sa sérénité, nous qui lui avons tenu sa main écrivante jusqu'à sa dernière voyelle de pouls en cette vie corporelle et terrestre, nous qui avons senti son ultime tressaillement se communiquer à notre propre corps pour le parcourir tout entier, au plus clair du poème, alors que le printemps ce matin-là était âgé de dix minutes, nous qui lui avons fermé ses yeux de jais tant aimés en craignant de déchirer ses paupières de papillon, nous qui avons embaumé, apprêté, vêtu, de larmes silenciées, d'essences orientales, d'étoffes précieuses, sa grâce de sylphide diaphane dans son cercueil, nous qui avons dû trouver ce mot, ce son, ce cri, ce souffle, sans cesse atermoyé par l'imminence du miracle, qui avons dû improviser cet impossible signe de tête, pour que devienne possible l'ébranlement du trop jeune cercueil n'en finissant plus de se fermer, prenant la direction de cette bouche du crématoire s'embrasant, nous qui avons veillé consciencieusement à ce que le céladon cinéraire fût acheminé jusqu'à l'archipel natal de Zhoushan, dans la province du Zhejiang, en Chine orientale, "afin que soit rejointe Mademoiselle LIN", nous qui, après cette saison de l'hoir, ne savons pas quelle forme prendra notre essentielle fatigue, puisqu'elle ne trouvera plus les bras de Bizheng pour l'accueillir et pour qu'elle soit divisée par deux... oui, vraiment, nous sommes submergé(e)(s) par une immense émotion, à présenter, à publier en ce jour de notre premier été "plus jamais comme avant", le poème "Collapsus" écrit par Loup-de-lune ! 2. C'est que ce moment du bain ou de la douche, ce moment où "à nouveau est émise la nudité", Loup-de-lune en a souvent fait un poème. Ainsi nous pouvons lire par exemple dans son blog "La jeune leucémique au bain" publié le 23/02/2018, et dans le salon Sans commentaires "Perrault perpétuel" publié le 29/04/2020... C'est que la "découvreuse de poésie" et ses lanternes magiques, ou kaléidoscopes, y savent opérer là tout particulièrement, avec les fluences de l'eau et les reflets lumineux, avec le corps plus fragile, plus disponible que dans la chambre imagière elle-même, ses enchantements leucopoétiques. Il arrivait fréquemment que Loup-de-lune ressente durant ces moments-là, ces moments de "l'enveloppe s'abluant", un malaise soudain, intense, un authentique "collapsus", durant lequel il lui semblait qu'elle "glissait" véritablement, conformément au sens du verbe latin labi, participe passé lapsus, avec les eaux lumineuses, comme une transfiguration des viscosités et des épaisseurs sanguines, vers un nouvel espace-temps. Elle était là pure évanescente ou "disparaissante" (voir le poème publié dans le blog le 30/04/2018). Et pourtant ces moments de déficience coïncidaient avec les plus fortes pulsions créatrices : elle était rebaptisée de "ce démiurgonyme d'Undafer", et comme Lucifer porte la lumière, elle portait l'eau-lumière des ruissellements, l'eau-lucidité des écoulements, l'eau-lueur des passages... Traversante !... Oui, nous en témoignons, nous avons souvent retrouvé Loup-de-lune, dans la salle d'eau, dans le passé antérieur, équivalant presque au potentiel, de "ce frein des cartilages/qui eurent reçu un artiste laps", comme il est écrit aux vers 1-2, en proie à la géométrie effarante et fantastique de "la fixité vestigieuse des jambes en arches", comme il est écrit au vers 20. 3. L'un des derniers mots du poème "Collapsus" est le mot "savon". Un accessoire crucial, vital pour Loup-de-lune, par-delà ses usages élémentaires et quotidiens. Nous en avons toujours possédé toute une collection très variée, dans des armoires en bois, peintes de fleurs, de feuillages et d'oiseaux composant, comme des prières, d'étourdissantes, d'infinies, d'éternelles arabesques... Loup-de-lune prenait tout son temps lorsqu'elle ouvrait l'emballage d'un nouveau savon pour en respirer longuement le parfum et en éprouver la forme et en apprécier la consistance. Elle avait fini par établir, plus ou moins consciemment, une espèce de rituel magique, sacré, qu'elle avait le secret mystique de prolonger toujours davantage... C'est qu'un nouveau savon, plus que tout autre chose, par la puissance que sait exercer l'effluve ou l'odeur sur l'esprit et la mémoire, signifiait la vie encore un peu, un nouveau sursis accordé par Leukaima, des lendemains encore de lavande, de cannelle, d'amande, de vanille, de citronnelle, de camomille, purifiant et protégeant le corps dans leurs téguments de mousse... Aussi, tout naturellement, plusieurs poèmes de Loup-de-lune sont consacrés au pouvoir du savon, véritable charme talismanique : voir dans son blog "L'appel" 16/08/2017 avec le riche et beau commentaire de pigloo, "Savon sélène" 24/08/2019, "La jeune cancéreuse au lavabo" 13/11/2016 : "Depuis ce matin/le savon est un coeur rouge/Et les mains à laver/iront inéluctablement le perdant (...) /De ce coeur quelles seront/et la taille et la métamorphose/quand après quelques matins encore/par-delà quelques sursitaires fraîcheurs/venues aux poignets minimes/le rythme/qu'au fond d'elle il lui fait la grâce d'enhardir/aura cessé". Le savon peut aussi, d'utilisation en utilisation, de jour en jour, finir par ressembler à une aile très mince, promesse de l'envol, prélude à l'essor de la part incorruptible... Dans le poème qui va suivre, il est devenu avec "le paraphe du dernier souffle", une ovale lamelle" qui participe par degrés de l'écoulement de la transparence, de la "glisse" du limpide scintillant. 4. Avec Leukaima la trobaïrits, les portes coulissantes et translucides de la douche sont changées en un "retable", et le liquide jaillissant du tuyau vient y couler en "aquarellant de fugaces méduses d'eau" que multicolorent les diverses sources d'éclairage, d'abord de la salle d'eau elle-même, ensuite des pièces voisines, enfin et surtout de Leukaima, du sang qui brille, du sang qui luit, du sang qui lune de safran et d'incarnat, et nous n'oublions pas de préciser que le mot "lune" au vers 19, reposant sur la même racine indo-européenne que "lumière", "luire", "leuc-émie", est une forme du verbe intransitif "luner" au sens de "émettre ou répandre une clarté lunaire"... Alors, nous ne sommes plus "Durant les dernières minutes du dissimulable" (voir ce poème et sa note publiés le 25/06/2020), où la couleur est le masque. Dans "Collapsus" en effet "la couleur submerge/ses loups" : le "loup", comme dans Loup-de-lune, si loin des révélateurs clichés hurleurs, est ce "masque couvrant le haut du visage". Ainsi le "collapsus", les coulures des eaux colorées, ne sont plus le vernis, ne sont plus les apparences, mais le réel qui va assumant les épanchements corollés par l'effondrement soudain de la complexion corporelle et de son heurt syncopal sur le sol de la salle d'eau. Et les eaux de confiance ne cessent de couler, de courir... elles atteignent à toujours plus de cristal, à toujours plus de limpide. Les colorations n'étaient qu'une étape, elles sont distancées. "Collapsus", glissement hors du corruptible et de l'éphémère, glissade enfant hors du symptôme et du diagnostic, glisse hors de la cause et de l'incidence. Comme nous avons eu ce courage de réouvrir les armoires à savons, et que leurs parfums la restituent si nettement, nous revoyons Loup-de-lune, avant que le cercueil blanc ne la dérobe à nos yeux d'eau, et jamais elle n'aura été plus translucide... et le feu aura eu beau passer par toutes les nuances du rouge, elle aura glissé, élégant collapsus, ataraxique laps d'au revoir, devant chacune d'entre elles, devant le vermillon, devant la cornaline, devant le cinabre, devant le corail, devant l'amarante, devant le pourpre, devant le rubis, devant l'orangé, devant l'éosine, devant le rocou, devant le colcotar, devant la santaline, devant l'andrinople, devant le brésil, devant le rose, devant la garance, devant la framboise, devant le carmin, devant la fraise, devant le ponceau, devant l'ocre, devant le réalgar, devant la groseille, devant le kermès, devant la sanguine, en en recevant tour à tour la teinte, sans qu'aucune d'entre elles, en dépit de toute l'ardeur de son hématique écho, ne trouve le moyen de se fixer... elle aura glissé fluide et accompli leucopoème destiné à "la transparanéité de l'ininterrompu".)





Collapsus




avec ce frein des cartilages
qui eurent reçu un artiste laps
à nouveau est émise la nudité
de l'enveloppe s'abluant

étourdir élit un battement
la couleur submerge
ses loups


Sa part d'insurrection
lui consent encore ce démiurgonyme d'Undafer

l'arcure plurielle du flux bouillant
inépuisable voeu immanent à la percale de paume

d'une lente horizontale
sur un retable enfin qui a coulissé
elle aquarelle de fugaces méduses d'eau
parmi pluiante une sonorité de carreaux

grènetis de bleu seuil hémibouclant l'albe effoison

poix kaki où s'agglutinent les quadrilatères

tentaculaire safran délavé de l'électrique ophtalmie

incarnat en plein chagrin pour que lune un plus vrai risque en fanal



Et la somme du tréfonds frappe


sous la fixité vestigieuse des jambes en arches
la transparanéité de l'ininterrompu
va assimilant cette ovale lamelle du savon
que l'expir a paraphée d'une éclaboussure




Loup-de-lune
LIU Bizheng

Durant les dernières minutes du dissimulable

25 juin 2020 - 11:04

(Note : Ce n'est pas encore aujourd'hui que nous allons proposer notre poème préféré de Loup-de-lune, que nous publierons en juillet, mais tout de même, nous invitons les lectrices et lecteurs à l'un de nos poèmes de prédilection rêvés par notre chère petite !... Au cours des semaines, des mois qui ont précédé, nous nous sommes essayé(e)(s) à quelques interprétations, à quelques explications de sa "bijouterie d'écriture". Nous nous sommes montré(e)(s) prudent(e)(s), de peur qu'une trop grande ardeur d'élucidation finisse par consumer le poème, qui veut vitalement garder sa part de secret qui est le vrai joyau. Nous avons traversé l'univers de Loup-de-lune, d'abord avec le flambeau du sang leucémique, ensuite avec les lampes de l'étymologie, de la lexicologie, de la linguistique, de la néologie, avec les photophores du rythme des vers, de la musicalité, des mariages de mots insoupçonnés, etc. Toutes ces sources d'éclairage sont ici plus que jamais en alerte... car "Durant les dernières minutes du dissimulable" est sans doute le poème le plus mystérieux de Loup-de-lune ! Après quelques lectures attentives, le motif d'une apocalypse se dessine : "agonies alchimistes" v.18, "enténèbre" v.21, "gisant" v.28, "crêpe des étamines" v.29, "la fronde a renoncé la main épanouie" v.31, "attritions" v.40, "putréfactions" v.40... Une apocalypse, mais une apocalypse de quoi donc ?... L'un des premiers mots du poème est "polychrome", tandis que le pénultième est "acolore" ; l'élément de composition "poly-" signifie "beaucoup, plusieurs", au lieu que le préfixe "a-" réplique par sa forte valeur privative : il ne sera pas erroné de déduire que nous est proposée ici l'apocalypse... des couleurs ! Voilà l'un des mots de la langue française dont l'étymologie aura inspiré bien des méditations à la jeune leucémique ! En effet la racine indo-européenne *kel ou *kol ou *kl signifiant "cacher", est à l'origine non seulement de "couleur" par le latin colorem, accusatif de color, mais aussi de "apocalypse", du grec apokaluptein "révéler (ce qui était caché)", de apo- indiquant l'éloignement, la séparation, et kaluptein ayant le sens de "couvrir". Ainsi le "dissimulable", substantivation de l'adjectif dérivé du verbe "dissimuler", dans les dernières minutes duquel nous fait pénétrer le poème, évoquerait les couleurs en puissance qui "recouvrent et dissimulent la réalité d'une chose" selon les propres mots de Jacqueline Picoche dans Le Robert Étymologie du français (2015). Les lectrices et lecteurs sont conviés ici à une quête surréaliste dont le point de départ a cependant une origine bien réelle. Car nous avons encore en mémoire la "façade" du vers 5, avec son "ambassade", avec son "clairsemis" de libellules, d'oiseaux et de papillons, aux ailes éployées, en métal ou en fer forgé, tous noirs, et, juste à côté, le contraste de la volière, mouvante, sonore, multicolore. Nous relevons l'oxymoron "clairsemis des noirs", où le mot "clairsemis", sur le modèle de "parsemis", signifie une "disposition de choses peu serrées", figure de style qui exprime cette aspiration paradoxale du noir à la lumière qui obscurcit davantage en colorant. Nous retrouvons une semblable opposition plus loin dans le poème aux vers 28-29 "C'est bien l'espièglerie du gamin des NITESCENCES là gisant/en ce CRÊPE des étamines", renforcée par l'idée de "gésir", soit "être couché", parfait contraire de la racine *sta- "être debout" à l'origine du latin staminea qui devient en français "étamine". En outre, les deux substantifs qui présentent dans le poème le suffixe d'inchoation -(e)sc- forment ce couple antithétique par excellence : "noirescence" (v.8)/"nitescences" (v.28). Tout le long du poème, la lumière est ce principe des couleurs qui dissimulent, qui masquent plus profondément, plus décisivement que la nuit noire. C'est d'abord le rêve, ou l'idéal, qui anime l'ambassade. La "matière ferreuse" qui figure libellules, oiseaux et papillons, est magiquée, ou "charmée", par le vague souvenir du conte, ou de la légende, de ce "gamin espiègle" qui possédait une fronde avec laquelle il lançait les gemmes les plus nitescentes et les plus rares. Quelle plus exaltante manière d'ornementer enfin son noir : être frappé de pierres précieuses par l'arme sertisseuse ! Mais ce même instant de coloration intense comprend aussi la lapidation. Mais cette même minute paroxysmale d'enluminures joviales et juvéniles recèle aussi la mort. Il y a là toute l'image de la leucémie espiègle qui jette avec sa fronde comme un lys ses diamants irisés et ses cristaux nacrés sur le sang visqueux... Cependant l'enfant tant espéré n'est plus que "(...) là gisant/en ce crêpe des étamines" : quelle force, en cette fin de long vers, émane de ce monosyllabe déictique spatial "là", qui est placé à côté du participe présent de "gésir", presque en corrélation avec le pronom démonstratif "c(e)" ouvrant le vers, et dont le son "a" est non seulement entouré aussi bien que contrasté par les nasales "en/an" de "nitescENces" et "gisANt", mais encore roboré et par le signifiant et par le signifié du dernier mot également monosyllabique de la strophe : "hAlte"... Quelle évidence, quel concret, quel inéluctable retentissement, quel tangible dans ce réveil et cette dissipation des coquecigrues ! Alors, après le rêve, ou l'idéal, reste encore le réel, et l'ambassade ailée de s'en retourner pour "cette effraction de la volière", mais, à l'issue du choc entre les désirs du non-vivant et les résistances du vivant, les couleurs animales se transforment en "putréfactions", alors que la "matière ferreuse", ce qui a été "fabriqué", se sera usée en vain. Ici ténorise Faust, comme dans l'opéra "Mefistofele" d'Arrigo Boito, adaptation du propre "Faust" de Johann Wolfgang von Goethe : "Il real fu dolore/E l'ideal fu sogno". Douleur et chimère... Ce n'est pas la moindre des épreuves que d'envisager résolument de transfixer les apparences... Toutefois, dans cette ultime strophe du poème, tout verbe dissous, Loup-de-lune fait précéder et comme porter "l'acolore mêlement" qui résulte de la collision plurielle, par l'apposition, détachée, flottante, essentielle, de son premier vers "et jonchée dessus l'outrance d'une planète", où le mot "jonchée" est substantif et non pas participe passé. La "fabrique" besogneuse des métaux a désiré les couleurs de la vie, et "attritions" et "putréfactions" ont abouti à la légèreté, ou lévitation, suprême, de l'absence de couleurs qui se confond avec l'espace, ou l'éther, par-delà les tribulations d'une planète-aberration (voir le poème "Planasthai" et sa note publiés le 05/06/2020). Aussi l'apocalypse n'est nullement une destruction, nullement une catastrophe, nullement une fin, mais ce grand démasquement, mais cet anéantissement des hypocrisies, mais cette annulation des comédies et tragédies, mais ce transglissement des surfaces qui renvoient la lumière... Et la jeune leucémique aura fait de Leukaima non pas la péremptoire qui cancérise le sang, mais cette révélation éclatante par-delà le rouge qui aura dissimulé... les sources photophiles de la métamorphose où être, de proportion en proportion, l'acolore, l'absolue sans-masque-traversante...)





Durant les dernières minutes du dissimulable





De cette incessante piaillerie treillissée
l'émulation polychrome

et la matière par un clairsemis
qui propose aussi des ailes
s'éployant sur la façade d'à côté

tressaille du souvenir qui
glisse et
qui s'effiloche à sa ferreuse noirescence


En quête des horions primesautiers du sertisseur
un choix prompt
exverticale et dépêche
une ambassade libelluloiselopapillonne




Aubours flagrants des palettes


Albums mucordeurs des poeciles


Gluaux des renvois


Écorchures iridescentes des cristallins


Ostéophanies des arcs-en-ciel



autant d'agonies alchimistes
aux fins de retremper le charme du vol



Cet enfoncement escarbouclé
parmi le jardin qu'enténèbre le débord des calycanthes

aux espéranciers
son point de plus vive réluctance
imprime le tournoiement

trois cercles vont réduisant leurs velours et
aoriste leur moment de guillochis
se coalisent


C'est bien l'espièglerie du gamin des nitescences là gisant
en ce crêpe des étamines
que par inadvertance parachèvent les broches de leur halte

la fronde a renoncé la main épanouie

entre les poumons bée la gemmière épuisée

le sombrage grenat des rais s'échine pour l'abîme nué



Ensuite d'un retour
et de la bredouille acérine de son message
toute charbonneuse cette effraction de la volière
est décidée



Et jonchée dessus l'outrance d'une planète
silenciés les aigus
des attritions de la fabrique avec les putréfactions
cet acolore mêlement




Loup-de-lune
LIU Bizheng