... Sois ton bourreau toimême ; 
N'abandonne le soin de te martyriser 
A personne, jamais. Donne ton seul baiser 
Au désespoir ; déchaîne en toi l'âpre blasphème ;
Force ton âme, éreintela contre l'écueil : 
Les maux du coeur qu'on exaspère, on les commande ; 
La vie, hélas ! ne se corrige ou ne s'amende 
Que si la volonté la terrasse d'orgueil. 
Sa norme est la douleur. Hélas ! qui s'y résigne ? 
 Certes, je veux exacerber les maux en moi. 
Comme jadis les grands chrétiens, mordus de foi, 
Se torturaient avec une ferveur maligne, 
Je veux boire les souffrances, comme un poison 
Vivant et fou ; je cinglerai de mon angoisse 
Mes pauvres jours, ainsi qu'un tocsin de paroisse 
S'exalte à disperser le deuil sur l'horizon.
Cet héroïsme intime et bizarre m'attire : 
Se préparer sa peine et provoquer son mal 
Avec acharnement, et dompter l'animal 
De misère et de peur, qui dans le coeur se mire 
Toujours ; se redresser cruel, mais contre soi, 
Vainqueur de quelque chose enfin, et moins languide 
Et moins banalement en extase du vide.
 Sois ton pouvoir, sois ton tourment, sois ton effroi. 
Et puis, il est des champs d'hostilités tentantes 
Que des hommes de marbre, avec de fortes mains, 
Ont cultivés ; il est de terribles chemins, 
Où leurs cris violents et leurs marches battantes 
Sont entendus : c'est là que, sur tel roc vermeil, 
Le soir allume, au loin, le sang et les tueries 
Et que luisent, parmi des lianes flétries, 
De scintillants couteaux de crime et de soleil !
 Les débâcles
 
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