Posté 26 octobre 2011 - 08:42
Doux dingue
Voilà bien deux semaines que je suis dans cette cave, sans n'avoir rien à penser et personne à parler. Mon majordome, conformément à mes instructions, vient glisser mon repas deux fois par jours et repart aussitôt, s'en m'adresser aucunement la parole. Parfois un rat vient troubler le silence, mais pas un seul bruit d'homme. Je vis le temps sonore sous la dictature du bref cliquetis du judas et de la course du rat.
Et pourtant, pourtant toujours rien. Mais j'ai confiance, je compte bien devenir fou et avoir des choses à dire.
Il n'y a personne sur le bateau a part moi et le capitaine.
Le capitaine avait une moustache,
Moi je devais bien avoir une barbe.
On fait cuire des rognons sur une poêle dans la cuisine du bateau et les rognons crachent leur odeur d’urine dans toute la pièce.
Je suis malhonnête | La lumière ne marchait plus dans ma salle de bains | Tout de suite avant le petit-déjeuner je me brossais les dents | Mon rituel de nettoyage | Les dents bien propres | Les mains savonnés de savon de cheval | Je garde ma barbe sale de pirate |
Au capitaine :
« Il m'arrive, lorsque j’applique sur mon corps trop de savon de cheval, de me regretter me perdre mon odeur. Et ça me rend fou, pendant des jours je veux des dents pourries et une jambe de bois ; je suis très préoccupé par les odeurs… Comment dire ? J’ai un gros nez ! Vous comprenez ? Ca me rassure de savoir que je pue. Enfin, que je sente mon odeur, la vraie. On peut être sur de si peu plus de choses aujourd’hui. Et puis, les chiens sentent bien leurs pets. Attendez, je suis malhonnête, moi aussi je sent mes pets.»
Le capitaine ne disait rien. Je continuais :
« Nous sommes deux mon ami, sur ce bateau. Sur ce bateau ou il n’y a personne. A part moi et vous, bien sur. Nous sommes ici pour l’éternité. A moins que, que, que, que… vous savez quoi. Vous savez pourquoi je suis ici et ce que j’attends de vous, capitaine. J’ai un million de secret et vous : seulement deux. Deux secrets qui valent deux milliards de secrets. Mais vous allez devenir mon obligé, capitaine. Et alors vous me confierez ces deux secrets. »
Il y a les langues qui ouvrent le monde et il n'y a qu'une langue qui compte, et cette langue ne parle pas, ne comprend pas, ne voit pas.
Cette langue est malade, la valeur est maladie, et c'est en usant de cette langue que le monde se ferme.
Le monde fermé, la maladie circule par la langue malade, baignant le tout immobile qu'est le deuxième monde.
Le deuxième monde est la perle qui surgit lorsque le monde se referme.
La surface de la perle reflète la maladie sans jamais que son cœur ne soit corrompu et sans jamais qu'elle soit polie par les courants de la valeur, et la maladie est valeur.
La perle ne vaut rien, étant pleine et non liquide.
Le cœur de la perle est le jardin, et le jardin, bien que dans la perle, n'a aucune limite, contrairement au monde ouvert car il n'y a dans le cœur de la perle aucune trace d'aucun langage.
Le jardin ne comporte rien de ce qui puisse entendre de même qu'il ne comporte rien de ce qui puisse permettre d'émettre un son.
Le jardin est dans la perle qui baigne dans la langue malade qui fait fermer le monde.