Le bonheur naît toujours d’une certaine conjonction, infiniment mouvante, de l’espace et du temps. En de certains moments et en de certains lieux, le vieux rêve de l’homme reprend souffle : on voudrait arrêter le temps, dire au ciel, aux étoiles, aux saisons : « arrêtez-vous dans votre course inexplicable ». Autour de nous, des gens se taisent, ou parlent, ou vont et viennent. Là-bas, sur la place, les tilleuls en fleurs exhalent leur parfum. C’est une nuit de printemps. Les monts qui cernent le village sont bleus sous la lumière presque irréelle de la lune. On voudrait dire à ses amis : « je suis heureux : ne faites plus un geste qui pourrait me blesser, ne riez pas trop fort... La nuit appuie son épaule contre la maison ».
Le bonheur (ce bonheur) dure une seconde . Le papillon qui s’était posé sur la fleur, déjà, déjà s’envole, et l’enfant de courir en riant...
Et l’homme, immobile, avec regret, de se demander où et quand (quel jour, quelle année) se renouvellera une semblable conjonction de l’espace et du temps...
extrait de La vie croisée/Nancy/1979