Elle avait un visage tel que les grands peintres de la Renaissance italienne nous ont appris à les aimer, quelque chose comme "Amour sacré, amour profane", de Titien. Au-delà de la peinture de la Renaissance, c’est tout l’idéal de beauté, légué par l’Antiquité, que son visage reflétait.
Je l’observais, depuis quelques instants déjà, avec, au cœur, cette sourde brûlure qui naît de la rencontre de l’idéal que l’on porte en soi : le moindre écart entre l’idéal et la réalité devient, brusquement, un abîme. Ainsi, je la voyais sourire à un garçon qui me tournait le dos, mais dont le profil, entrevu par instants, révélait un être probablement vulgaire.
Quand le garçon se leva, pour descendre, à un arrêt du train, elle me regarda avec comme une invite dans les yeux . Je m’abstins de tout sourire : elle faisait un usage si prodigue du sien !
extrait de La vie croisée/Nancy/1979