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Noces

poésie rêve fantastique érotique

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2 réponses à ce sujet

#1 Jean Levant

Jean Levant

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  • Une phrase ::Amateur de littérature, poésie, fantastique et SF, peinture.

Posté 14 janvier 2014 - 08:47

Noces

 

 

 

 

 

Qui aurait pu croire en voyant cette brousse

Ce bourg désert, ces venelles oubliées,

Ces murs ruinés, ces maisons trop silencieuses,

La flore féroce et l'oeuvre humaine en péril,

Qui aurait pu croire en voyant ce bout du monde

Qu'ici même on célébrait encore des noces?...

Devinez alors sa joie quand les cloches s'ébranlèrent

Au milieu du silence, quelle envolée fantastique!

Il accourut donc vers le parvis antique

Mais trop tard : tout ou presque était dit.

 

Une foule guindée se pressait à la sortie

Tâchant de se placer pour voir le cortège,

Des enfants harnachés comme des petits pages

Sortaient leur mouchoir sale au passage

Et singeant leurs mères, se tamponnaient l'oeil.

L'histoire n'avait pourtant rien d'une idylle,

Le ciel était peint en gris anthracite

Tandis qu'un vent frisquet pour avril

Soulevait avec vice les voiles de la mariée.

Celle−ci, frissonnante, absente ou morose

Avait une grosseur à la joue, comme une chique;

Elle devait rêver de bain turc et de massage thaï

De morphine ou de puissants narcotiques

Qui chasseraient son mal par le sommeil.

 

Mais ce ne fut pas un rêve : le ciel creva

Déversant avec retard des petits oeufs de Pâques.

Tout le monde alors se précipita aux abris

Et dans la débandade générale

Il attacha son destin aux basques de sa voisine,

Personne charmante et femme de tête

Car chose étrange à une noce : elle était en noir.

Cette dame donc − c'en était une !−

Relevant sans façon le bas de sa robe

Et attrapant son dernier né

Se mit à courir sous l'averse,

Ignorant sûrement qu'une oreille indiscrète

Se plaisait à écouter son rire un peu fou.

 

Après elle, il descendit une volée de marches

Où roulait un torrent de froides billes blanches

Qui menait sous terre vers un caveau fumeux.

On y célébrait à la bonne franquette

Ces noces orageuses où en fait de confettis

Un kilo de fins grélons avait fêté la triste épouse.

De la vapeur circulait sous la clef de voûte

Et dans cette cohue un peu canaille

Retrouver l'étroite et noire silhouette

Ne fut pas chose aussi facile que prévu.

Enfin il la repéra entre deux compères

Levant haut le coude à la santé des mariés.

Tout le monde trinquait, même les enfants,

A ce vin d'honneur, une gentille piquette

Qui mettait au fond de leur verre à moutarde

Une mousse pétillante, épaisse et rosâtre.

 

Puis quand l’étrangère – elle était Anglaise

Sûrement, excentrique et peut-être un brin snob –

Demanda en français « des toilettes s’il vous plait »

Il sentit qu’elle ne saisit pas bien la réponse

Que lui fit l’aubergiste avec l’accent du cru.

Il la suivit comme une ombre dans l’escalier

Vers les domaines habitables et privés.

Comme elle étudiait deux portes muettes avec ennui

Il lui prit le bras d’un air très aristocratique

Et des deux portes ouvrit la mauvaise.

 

Ils pénétrèrent alors dans cette maison inconnue.

Ses habitants en étaient pour l’heure absents

Sauf une vieille en noir sourde comme un pot

Recroquevillée sur un moule à gâteau.

D’ailleurs la maison était triste et sentait le vieux ;

Le silence étrange après ces rires et ces cris,

Les lourds meubles sombres, l’horloge tictaquante

Semblaient hostiles à toute idée de fête.

Et pendant ce temps, la grêle tombait drue

Cascadant et ricochant le long des tuiles,

Couvrant leurs pas dans le couloir obscur.

La dame en noir l’interrogeait des yeux

Et jugeant sur ses façons de propriétaire

Voulut croire qu’il la guidait vers les toilettes ;

Lui ne disait mot, même avec les yeux,

Occupé à chercher le lieu propice.

 

Bien sûr, l’étrangère éventa bientôt l’astuce :

Il faut dire qu’il lui tenait la main un peu fort

Même pour un hôte très hospitalier.

Elle rit et s’arrêta – il la tira plus fort ;

Elle rit de plus belle mais le suivit où il voulut.

Puis elle se tut, attendant le souffle court

Ce qu’elle pressentait devoir arriver.

Il fallait faire vite : il ouvrit la première porte

Mais c’était un placard, un vestiaire fleurant l’antimite

Et bien qu’il eût aimé la serrer sans attendre-

Pourquoi pas ici ? sur des piles d’étoffes douces –

Quelque chose déplut à sa compagne.

Une autre ouvrait sur une pièce à moitié vide,

Sombre et sans fonction précise : ça convenait.

 

Comme les vrais héros impavides

Au cœur de la tourmente, la dame en noir

N’oublia pas sur eux de fermer la porte à clef.

Tandis qu’il cherchait la sienne sous sa robe,

Elle le supplia de se hâter, répondant à ses avances

Par des baisers aveugles qui leur faisaient se cogner le nez.

Il aurait certes aimé la voir un peu mieux,

Nue, offerte, les yeux fous – mais le temps pressait :

« Que vont-ils penser en bas de cette absence ? »

Déplorait-elle en remontant sa robe sur ses hanches.

Vint alors l’instant qu’on espère,

Où les yeux boivent dans les yeux, le cœur dans le cœur,

L’instant où l’âme, dit-on, se lit enfin sur la chair…

Mais c’est fini – déjà ! – cinq minutes à peine ont suffi.

La femme rajuste ses dentelles, remonte ses bas

Et range ses cheveux longs dans un grand nœud de soie ;

Lui rêve encore à son secret entraperçu

Observant la silhouette aux faux airs d’Espagnole,

Au nez fier, à l’œil noir, au duvet sombre,

Puis elle se retire, ses chaussures à la main.

 

Seul, il huma un parfum des plus suaves

Emplissant la pièce : de la fleur d’oranger,

Fleur qu’on tressait autrefois

Au front des nouvelles mariées.

Et ce fut alors, comme il s’envolait

Qu’il se fit la réflexion : qui aurait pu croire

En voyant ces broussailles, cette flore féroce,

Ce bourg désert, ces murailles ruinées,

Ces maisons silencieuses, ces rues oubliées

Et l’œuvre humaine partout menacée,

Qui aurait pu croire qu’on y célébrait des noces ?

 

 

(Inspiré d'un rêve : Sans raison précise, j'ai toujours pensé qu'il devait de passer sur une des îles entourant Venise, mais vous pouvez le situer ailleurs sans dommage.)



#2 M. de Saint-Michel

M. de Saint-Michel

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Posté 14 janvier 2014 - 02:05

Si vous rêvez ainsi chaque nuit, vous ne devez pas vous embêter durant votre sommeil!...

#3 Jean Levant

Jean Levant

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  • Une phrase ::Amateur de littérature, poésie, fantastique et SF, peinture.

Posté 15 janvier 2014 - 08:07

Si vous rêvez ainsi chaque nuit, vous ne devez pas vous embêter durant votre sommeil!...

Certes non, mais ça ne me dérangerait pas ! ... Bon, j'ai un peu travaillé la matière brute quand même : traduire un rêve en quelque chose de lisible, tout en en conservant le principal, ce puissant impact émotionnel qu'il procure, est réellement une affaire... d'art. 





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