J'apprends ici qu'Une Saison en Enfer ne serait pas vraiment de la poésie? J'ai rarement l'esprit polémique et toute opinion se respecte. Mais là je dois avouer que...Je ne voudrais pas te paraître vieux jeu ni encore moins grossier… l'homme de la pampa, parfois rude, reste toujours courtois, mais la vérité m'oblige à le dire : Le Dyonisos commence à me les briser menu!
Une phrase, une seule phrase des Chants de Maldoror valent mille poésies et à enfermer la poésie dans un carcan, fût-il littéraire est une idée absurde et j'ose le mot anti-artistique. Les adorateurs de sclérose ont crié au scandale quand on a violé Malherbe la première fois et que les romantiques ont brisé en Hernani les chaînes qui retenaient la poésie dans la naphtaline du respect.Quand Hugo, Musset, Vigny et Gauthier ont fait scandale... Et que dire de Rimbaud qui a oser le sacrilège ultime d'abandonner la rime quand elle devenait attendue et monotone et qu'on en avait épuisé les mystères... Ah que n'a t on dit que la poésie était morte... On était en 1880... Et on pleurait le deuil de la rime a ne croire la poésie impossible sans elle... Et pourtant tant de poètes, d'Eluard à Ponge, de Guillevic à Desnos sont venus prouver l'immortelle invention de la langue poétique.
Il ne faut pas craindre les porosités. Elles nourrissent et ne diluent pas! La poésie effleurée par la chanson, le dialogue de film, le slam et les l'influences des argots, des jargons et du langage des banlieues s'avère vivante, renouvelée, protéiforme.
Il fallait que le jour,
En se levant de table,
Laisse achever la nuit
Son repas de bitume.
Il fallait que le jour,
En se levant de table,
Vienne toucher la cour
Tout engluée de fable.
Et qu'il laisse la nuit,
Engluée dans ses plumes,
Achever dans le froid
Son repas de bitume.
E. Guillevic
Et pour que le doute s'envole encore sur la qualité poétique indéniable d'un texte écrit en prose, outre le sublime exemple de l'enivrez vous de Baudelaire, voici....
— Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
— Tes amis ?
— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
— Ta patrie ?
— J’ignore sous quelle latitude elle est située.
— La beauté ?
— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
— L’or ?
— Je le hais comme vous haïssez Dieu.
— Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
— J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… les merveilleux nuages !
Petist poèmes en prose Ch. Baudelaire
Et pour conclure...
[...] Souvent, il m’arrivera d’énoncer, avec solennité, les propositions les plus bouffonnes… je ne trouve pas que cela devienne un motif péremptoirement suffisant pour élargir la bouche ! Je ne puis m’empêcher de rire, me répondrez-vous ; j’accepte cette explication absurde, mais, alors, que ce soit un rire mélancolique. Riez, mais pleurez en même temps. Si vous ne pouvez pleurer par les yeux, pleurez par la bouche. Est-ce encore impossible, urinez ; mais, j’avertis qu’un liquide quelconque est ici nécessaire, pour atténuer la sécheresse que porte, dans ses flancs, le rire, aux traits fendus en arrière. Quant à moi, je ne me laisserai pas décontenancer par les gloussements cocasses et les beuglements originaux de ceux qui trouvent toujours quelque chose à redire dans un caractère qui ne ressemble pas au leur, parce qu’il est une des innombrables modifications intellectuelles que Dieu, sans sortir d’un type primordial, créa pour gouverner les charpentes osseuses. Jusqu’à nos temps, la poésie fit une route fausse ; s’élevant jusqu’au ciel ou rampant jusqu’à terre, elle a méconnu les principes de son existence, et a été, non sans raison, constamment bafouée par les honnêtes gens. [...]
Les Chants de Maldoror, Chant Quatrième
Lautréamont