De transmettre cela
« De toi et de ta barbe, il faut déterminer
Lequel est plus âgé. - Voilà qui est aisé :
Je suis l'aîné, pour sûr, arrivé avant elle
Et ce tapis grandit des départs d'hirondelle
Inexorablement. - Tu es bien sûr de toi !
C'est plutôt sa couleur que tu prends pour pavois,
Le toit étincelant de la grande montagne.
Elle est allée plus loin que toi, cette compagne
Et tu te crois vainqueur, debout dans le grand puits
Sec de l'absurdité. Le sentiment t'a fui.
Comme le jeune enfant que l'on prend pour la lune
Au milieu de la nuit ou le rai de fortune
Éclairant l'Orient, tu t'es proclamé roi
Du cosmos tout entier. C'est ton désert... mais quoi ?
Tu es comme le bœuf qui mesure la terre
En y faisant des tours sans rien qui te libère
Et depuis tant et tant tu chéris le veau d'or
Plus que la vérité. Pour quoi, donc, es-tu fort ?
Regarde-toi, observe, avec tes mains, ta vue,
Ton corps, de tous tes sens. La beauté disparue
Manque au raisonnement. Pourtant elle est ici,
Nécessaire aux saisons. La faim, la soif aussi,
L'ivresse du plaisir qui nous a mis au monde
Et le mûrissement qu'au soleil on incombe,
Autrement appelés, mais qu'importe les noms.
Tu oublies la nature en ce qu'elle a de bon,
Ce printemps de plaisir, offert, perpétuel,
Étranger aux combats, sans autre rituel
Que la ronde des jours et le parfum des roses.
Sans cela, sous ta barbe il manque tant de choses !
Ne sois point orgueilleux de sa belle couleur.
N'oublie jamais d'aimer. Tu portes ce bonheur
En toi, par le hasard, les plaisirs de la vie.
De transmettre cela, seulement, remercie
Le nuage de peau qui tombe sous ton nez
Pour éclipser les mots trop vite proférés. »
D'après "le sage et le prêtre", conte soufi.
DE TRANSMETTRE CELA.jpg 248,47 Ko 0 téléchargement(s)
Statuette d’homme barbu, époque prédynastique, (Haute- Egypte) 3800 à 3500 av. J.-C., pierre (brèche claire)
©M.KISSINE – Décomposition – ISBN 9782919390274