Léon Spilliaert, La buveuse d’absinthe, 1907, détail.
Ces derniers temps, dans le miroir, vit une autre femme. À travers la claie de cheveux cendreux qu’elle démêle impatiente, apparaissent des yeux de plomb minés dans le teint terreux ; son regard a consumé sous la taie qui s’étale quand il cède à la fatalité. Trop tard. Elle murmure qu’il est trop tard pour s’exalter sur le chemin qu’on foule au pied, plein d’ardeur, à l’âge où l’espoir encore invente une éternité pour prendre cœur. Le sien grippe et s’essouffle, il bat la chamade, et terrassé par la mémoire embourbée, piétine. Sauf à brandir les panneaux que rédigent les orateurs comme les intertitres dans un roman filmé sans paroles, sauf en élevant le pouce applaudir en silence, sauf à maintenir l’illusion de suivre une communauté dans ce monde qui s’effondre, l’exil l’accompagne en enfer quand vient la nuit. À contre-pied dans le courant, ses châteaux se délabrent sous les coups de boutoir de la raison, laquelle ordonne à chacun de se satisfaire en solitaire. Le rêve évanoui l’abandonne au plaisir obscur d’accomplir la tâche assignée des utilités. Privée d’utopie, dans le miroir elle dépérit du carcinome en état d’urgence qui la ronge.
Des jours, là, en 2015, 2016