C’est dans une ville d’Allemagne, le soir de Noël 1968. J’ai vingt ans : je suis soldat des Forces Françaises en Allemagne. Je viens d’obtenir une permission de sortie de la caserne, pour deux jours, trop peu pour rejoindre mes parents qui vivent en France. Je marche dans les rues de cette ville, alors que tous les passants ont le regard éclairé et réjoui par l’approche de la soirée de Noël, de la grande fête qui s’approche. Moi, personne ne m’attend dans la ville, je marche, je m’arrête, solitaire, ici et là, devant les vitrines décorées, j’ai le vague projet de rechercher une chambre d’ hôtel.
Je m’arrête devant la vitrine d’une librairie qui expose des livres d’art : l’un d’entre eux retient mon attention, il est ouvert pour mieux donner à voir aux passants deux très belles reproductions de deux tableaux de Botticelli : « Le Printemps » et « La Naissance de Vénus ».
C’est alors qu’une femme, venue de la rue, vient se placer tout contre moi et se met à regarder, avec une ferveur égale à la mienne, les très belles reproductions, Elle fait, soudain, un mouvement, comme pour se rapprocher encore davantage de moi. Son épais manteau de fourrure touche mes vêtements. C’est à ce moment que je m’écarte et que je m’éloigne sans regarder en arrière.
Pourtant, depuis un demi-siècle, je ne peux oublier le feu que cet effleurement d’un manteau de fourrure a allumé en moi, – comme si Vénus elle-même avait voulu me faire savoir qu’elle n’existait pas seulement dans les peintures, dans les livres, mais dans la vie.
25/4/17