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RAPPORT PROFESSIONNEL : collision de deux incidents à 11H30, mardi 28 novembre 2017


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1 réponse à ce sujet

#1 J.G. Mads

J.G. Mads

    J.G. Mads

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  • Une phrase ::Sans haine ni espoir.

Posté 02 décembre 2017 - 11:03

I

« Philippique d’époque »

 

Salle 19, mardi 28 novembre 2017, avant 11h30

classe de 4è : Marc Antoine

 

Irrespect et mauvaise volonté. Comme à son habitude, Marc Antoine a passé l’heure de cours (en salle informatique) à ne rien faire ou peu s’en faut, malgré mes explications, consignes et conseils répétés quinze fois sur tous les tons ; comme à son habitude, il s’est avachi, il s’est agité, il a maugréé, il a chanté, il a été grossier, il a gêné tout le monde, il a freiné, parasité et phagocyté le travail de toute la classe en manifestant sa mauvaise humeur de façon particulièrement obstinée et inélégante. Comme d’habitude, j’ai ignoré l’essentiel de son persiflage en espérant qu’il commence à travailler. Et j’ai réussi, en une vingtaine de minutes au moins, à le persuader de surligner au feutre fluorescent jaune les 3 ou 4 occurrences de son prénom dans un document qu’il a refusé de relire (mais l’avait-il seulement lu ?), sachant qu’il aurait dû l’avoir fait déjà depuis longtemps. Il a accepté ensuite de discuter vaguement de l’organisation de l’exposé avec les camarades de son groupe, et a même fini par comprendre qu’il devait rechercher des informations sur trois peintres romantiques. Mais... il a passé le reste de l’heure, maussade, à dérouler à toute vitesse de haut en bas, puis à secouer de bas en haut la page Wikipédia de Caspar David Friedrich, scandant frénétiquement le nom de l’artiste, usant la souris de l’ordinateur et ses propres yeux, bêlant des sarcasmes tous azimuts au lieu de lire et de prendre des notes, au lieu de comparer les articles encyclopédiques et de rédiger une synthèse personnelle dans son cahier de brouillon, comme je le lui demandais. À un moment, il a beuglé à voix haute (je n’ai pas entendu le chiffre) : « Dans X minutes je me casse de ce cours de merde ! » J’ai inscrit « une heure de retenue » sur le feuillet qui lui servait de carnet de liaison, puis je lui ai rappelé que j’attendais une réponse à ma demande de rendez-vous avec sa famille. Il m’a alors répondu : « Ma mère travaille, elle n’a pas le temps de venir, et d’ailleurs vous lui cassez les pieds. Et d’ailleurs, à moi aussi, vous me cassez les pieds ! » Je crois bien qu’il l’a répété en détachant les syllabes, effrontément. J’ai décidé d’ajouter une deuxième heure de retenue sur le feuillet qui lui servait de carnet, en insistant pour rencontrer sa mère puisqu’il lui prêtait des propos hostiles à mon endroit.

 

Quel est son problème ? Pourquoi Marc Antoine est-il aussi indisposé, désagréable, véhément ? Il me semble qu’il vit le collège comme une prison, c’est pourquoi il se comporte en prisonnier. Il est brutal et sans-gêne comme un bagnard parce que, d’après lui, le collège est un bagne… ce que je peux, après tout, parfaitement entendre et comprendre : les horaires, le travail (scolaire) obligatoire, l’enfermement, la routine, le règlement, les punitions, les devoirs, la discipline… MAIS ce que je ne peux en revanche ni entendre ni comprendre, c’est son dégoût pour l’intelligence, la beauté, la délicatesse et la finesse, la réflexion et le savoir... Marc Antoine aurait-il le désir, par hasard, de devenir un abruti professionnel ? Je ne le pense pas. Est-il bien ou mal parti pour le devenir ? Les deux. Antoine n’est pas un imbécile, comme chacun sait, alors pourquoi refuse-t-il donc aujourd’hui d’apprendre ? Croit-il peut-être qu’il sait tout ? Il prétend et répète sans arrêt que ça ne l’intéresse pas, autrement dit que tout ce qu’il ignore est sans intérêt ! Une seule matière enseignée au collège trouve-t-elle grâce à ses yeux ? Je le lui demanderai. Je ne sais pas. Quelle qu’elle soit, et quoi qu’il en pense, Marc Antoine ne saurait se dispenser du FRANÇAIS, puisque c’est la langue avec laquelle il pense justement de travers, pour l’instant, car bien sûr il demeure encore très loin de pouvoir espérer maîtriser la langue française un jour – et communique (non moins de travers, comme on sait). Non seulement Antoine perd et gâche son temps, mais le nôtre. Par sa bêtise rebelle, son arrogance déplacée, par sa fainéantise. Il est donc très urgent qu’il change d’état d’esprit, ouvre les yeux et réagisse. « Les gens sans culture circulent comme des morts au milieu des vivants » disait Aristote. Toutes les connaissances sont bonnes, nous n’avons pas à trier entre elles. L’intelligence est un devoir. Le savoir dispensé au collège est essentiel. Toutes les matières sont importantes. Toutes ! Et le respect des autres n’est pas négociable. Il faut qu’Antoine apprenne à vivre avec

curiosité et humilité.

Pr Jahonas Gunzonic.

 

II

« Réplique à la seconde collision »

 

Salle 19, mardi 28 novembre 2017, 11h31

collègue : C.

 

Criss, à quoi tu sers, sans-amour ? Criss, méchante bonne sœur, je ne torcherai un seul de tes caprices de vieille fille sèche, tu peux les bouffer tes lunettes blanches, bouffonne, change de perruque ou quoi. Retourne sucer les ciseaux et les tétons et les moignons de ton coiffeur de province imaginaire, cocote. Sont-ce des élèves de 6è ou bien des enfants-soldats qui abandonnent dans le couloir, avant d’entrer chez toi, leurs bardas avec leurs vestes, puis se rangent rectilignes deux par deux en silence tremblant raides sous une pluie de postillons blancs pendant que tu les humilies ? La bibliothèque du collège n’existe qu’en méchante boule à neige ; tout murmure y est une injure, et tu en as banni aussi tout livre sérieux, précis ou complet comme s’il fallait censurer la complexité méphitique du réel, comme s’il fallait préserver les enfants de l’intelligence sulfurique, les tenir aussi éloignés que possible de la grande culture, de la variété du vocabulaire, etc. Mais comment peux-tu défendre le bon papier contre le mauvais internet, avec tes maigres ressources appauvries, ma chère ? Manga-mayonnaise ? BD-ketchup ? Adaptations pour la sotte jeunesse ? Sais-tu que la littérature est complexe comme le réel, comme l’art, comme tout ce qui est intéressant ? La paresse pousse la plupart des gamins vers ce qu’ils reconnaissent, vers ce qu’ils savent déjà : ça les rassure de comprendre mais pas d’apprendre. Et l’industrie du livre l’a bien deviné, qui flatte cet instinct mortel en segmentant et cloisonnant le marché à l’infini pour les raisons cupides que l’on sait. Un mot nouveau chez les mômes n’est jamais le bienvenu, n’importe quel plat synonyme fera beaucoup mieux l’affaire. Une information nouvelle est toujours perçue comme une anomalie grotesque ou suspecte. Tout ce qu’ils n’entendent pas est insensé. Pour eux, un « bon livre » est d’abord et avant tout un livre « facile à lire ». Notre devoir éducatif, en gros, consiste à les convaincre du contraire. « Criss, tu me casses les pieds ! » par mimétisme ce que j’ai répondu à la bibliothécaire. Et je me suis tiré.



#2 J.G. Mads

J.G. Mads

    J.G. Mads

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  • Une phrase ::Sans haine ni espoir.

Posté 02 décembre 2017 - 12:06

Je suis allé dicter huit fois un texte d’une obscure et cruelle beauté à cinquante pré-adolescents pour vérifier leur niveau d’huile en orthographe, puis j’ai déjeuné seul comme un pape au bord de la rivière, après quoi j’ai enseigné la prononciation traditionnelle du latin à une fillette qui avait un an de retard et même les règles du jeu d’échecs à une réfugiée des Balkans, puis je me suis tiré. Rentré chez moi, loin de tout. Retiré dans l’appartement qui me sert de radeau d’île déserte.