Aller au contenu

Photo

« C’est quoi qui arrive ? »


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 J.G. Mads

J.G. Mads

    J.G. Mads

  • Membre
  • PipPipPipPip
  • 4 651 messages
  • Une phrase ::Sans haine ni espoir.

Posté 07 février 2018 - 03:47

Alors j’ai dit dans sa langue à Lester : « Votre musique hybride The Doors et Nirvana » et là, le jeune roadie post-aztèque qui suivait notre « conversation » m’a regardé noir (molossale bouffée de vapeur de taureau ailé, un vrai nuage). Le roadie et Lester étaient adossés au car qui allait les pousser jusqu'en Belgique, roadies, groupies et musiciens, pour la suite de la tournée européenne. Décollage imminent. Nous étions fin octobre, sur un trottoir parisien. À fumer fanatiquement. Il était mille fois deux heures du matin. J'ai cru bon de me justifier : « Joe, à mon avis on devrait t’appeler Sister Ray Manzarek et Brian, c’est Kurt Morrison... »

Moins surtout lui qu’on attendait, Brian Aubert, le chanteur du groupe, tuez-moi et je vous en parlerai objectivement.

Joe Lester, sans toutefois dissimuler sa surprise, opinait, souriait ; le roadie, renfrogné, pas. On planait assez haut et fort de causer avec un Silversun Pickup, Erz et moi.

Joe fait jouir les claviers électroniques ; lui et le batteur Christopher Guanlao ont le même style adulescent californien post-grunge. Brian et Nikki, la bassiste, forment le coeur nucléaire de la bande, le volcan vocal. On parle de rock doux et dur, élégiaque, chaleureux, sémillant, intense. Ceux qui croient déceler trop de sucre dans la voix enfantine lée de Brian n’ont qu’à ôter le miel qui bouche leurs oreilles, il chante plus divinement qu’une sirène d’Odyssée. Et joue de la guitare mieux qu’Orphée. Brian est arrivé, justement, Orphée, il m’a serré dans ses bras angéliques après avoir étreint Erzébeth. Nous avons échangé quelques mots avec lui, Nikki et Chris. Puis ils sont tous partis. Alors nous aussi.

 

« C’est quoi qui arrive ?... » À dormir les yeux ouverts sur les bancs publics avec fumigène dans une main bouteille dans l’autre dans les angles morts des cimetières des squares des parcs loin des méchants, sous les ponts où il y a de la place, au bord des routes et des rivières dégueulasses, assis debout usé à aller – bruits génitaux de mes baskets après la pluie – j’essuie ma barbe écaille-de-tortue où la bière a coulé avec mon bonnet, j’écris n’importe quoi ce qui arrive dans mon carnet – à me plaindre crever de déploration sur mon radeau percé jusques au fond du coeur... J’écoute une émission de radio intéressante sur François Ier (nous avons la même taille), le tramway en vue ralentit, une vieille Gorgone aux yeux blancs, à côté de moi, ne cesse de hurler : « C’est quoi qui arrive ? C’est QUOI qui arrive ?... » Comme tout le monde l’ignore, au moment où les portes automatiques s’ouvrent, j’ôte une de mes oreillettes pour lui répondre : « Un tram... » L’horrible naine, j’ai cru alors qu’elle allait me frapper avec sa canne, me déchiqueter : « Un tram ! Je le sais bien que c’est un tram, connard ! » Une bonne femme heureusement lui balance en passant « Direction Hôpital » avant d’ajouter presque aussitôt (voyant que l’ingrate semblait connaître grâce à elle une sorte de soulagement au milieu de sa haine aveugle) «... Ne me remerciez pas, surtout ! » Cette brave femme avisée et moi penaud dans le wagon, portes fermées ; l’autre vieille bourrique odieuse restée sur le quai où elle fulmine encore... « C’est quoi qui arrive ? » C’est le tramway qui t’écrase, Madame !

 

Âmes frangines, quel bonheur fantastique d’avoir traversé le miroir pour vous embrasser ! Quand j’étais au lycée, en 93, un copain de copain à moi abonné à une revue rock a gagné un week-end à Seattle avec Nirvana qui s’apprêtait à sortir In Utero. Il avait répondu à une question posée par son magazine préféré, c’était un concours.

- Je rêve ! C’était quoi le concours ? C’était quoi la question ?

- « Imaginez le lieu idéal pour le clip de telle chanson... »

- Et il a proposé ?

- « Un cimetière ». Et il a gagné. Il y est donc allé.

- L’enculé !

Ouais... Et ensuite, l’enculé est revenu et il a raconté à mon pote Samir son putain de week-end, qui me l’a raconté. L’enculé l’a même autorisé à copier In Utero sur une cassette, si bien que nous avons eu le privilège de connaître cet album « testament » quelques semaines avant sa sortie officielle sur le vieux continent.

Et toujours quand j’étais au lycée, en 93, un copain de copain à moi encore m’a proposé une place en or dans une caisse pourrie pour aller assister à un concert de Nirvana en Bretagne. Mais non finalement, rien.

- Et ton premier pote de pote, c’était comment son week-end alors avec Nirvana ?

- Il a fait de la moto avec Dave Grohl. Et il s’est bien marré avec Novoselic.

- Et ?

- Et le chanteur de Nirvana a peut-être changé d’humeur en le rencontrant, mais certainement pas d’avis sur l’existence.

Quand les Silversun Pickups sont remontés dans le bus, boulevard de Rochechouart, j’ai remarqué qu’un de leurs roadies (peut-être bien le « taureau ailé ») portait un pack de Heineken... Qu’est-ce que j’en ai bu et pissé des hectolitres ensuite de cette flotte en pensant à eux ! La dernière fois que Brian Aubert m’a parlé, aussi, il m’a demandé du feu. Je lui ai tendu le bédo que j’étais en train de fumer, il a simplement allumé sa clop avec et me l’a retourné. Je n’ai pas racheté de haschisch, après, pendant six mois. J’ai pris quinze kilos. Quinze, parce que la bière Heineken, il faut en picoler pas mal pour voir la différence avec l’eau du robinet. Sur le fanatisme et le mimétisme il y a beaucoup à dire. Je ressemble à mes idoles, on me le rappelle encore. Pour moi l’Art est une religion et les artistes des divinités. Les œuvres d’art, dans mon système solaire, sont sacrées parce qu’elles expriment totalement la Liberté individuelle. Je ne place rien au-dessus de la Liberté individuelle. Peu de créateurs savent émouvoir jusqu’à l’inanimé, ces génies-là se taillent un joyaume miraculeux dans la matière même de la Beauté qui nous fait vivre. Je les remercie chaque jour en les adorant consciemment, en les imitant inconsciemment. C’est ça qui arrive.